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personnages non-seulement de l’empire, mais de l’Europe, des princes, des souverains, avaient été invités à la séance du corps législatif. Napoléon, dans sa bienveillance pour le jeune colonel, avait voulu que son père, le comte de Ségur, l’ancien ambassadeur de Louis XVI à la cour de Catherine II, alors conseiller d’état, y eût une place d’honneur et comme assistant et comme partie active. Par une de ces délicatesses auxquelles il se plaisait, pourvu que sa politique ne s’y opposât, point, il avait fait en sorte que cette fête générale de l’armée fût en même temps la fête particulière du héros de Sommo-Sierra. Ce fut précisément toute cette mise en scène qui faillit paralyser l’homme simple et droit au moment de la remise des drapeaux. « Certes, dit-il, pour un jeune colonel avant tout passionné de gloire, on doit croire qu’une pareille journée fut la plus belle et la plus heureuse de sa vie entière ; mais tout s’achète… L’instant qui précéda cette présentation, pour moi si honorable, a peut-être été le plus pénible de tous les mauvais momens que j’ai passés ! » Il eût regretté volontiers les heures brûlantes de Sommo-Sierra, ce n’étaient pas de telles émotions qu’il éprouvait quand il se précipitait tête baissée au-devant de la gueule des canons. Qu’il est à plaindre, le héros dépaysé, quand son domaine lui échappe, le domaine de l’action, de la lutte, et que, transporté dans un monde nouveau, il sent peser sur lui des responsabilités nouvelles ! Écoutez ce gémissement d’un noble cœur. « Dans cet instant, le dirai-je ? ces honneurs publics dont Napoléon me comblait, le soin si délicat d’y mêler mon père, de le rendre spectateur et acteur dans cette séance mémorable où devait parler pour la dernière fois et pour me répondre l’orateur d’alors le plus célèbre, M. de Fontanes ; le public de princes et de rois étrangers qui y assistait ; ces drapeaux, ces soldats d’élite si renommés dont j’étais environné ; enfin et surtout l’honneur de parler devant les représentans de la plus grande des nations, au nom de sa grande armée et du plus grand de tous les hommes, tout cela, au lieu de m’enfler présomptueusement, m’avait accablé ! »

Pourquoi M. de Ségur, en écrivant ses mémoires, n’a-t-il pas raconté cette séance du 22 janvier 1810 ? Pourquoi nous renvoie-t-il aux pages du Moniteur au lieu d’en extraire lui-même les détails qui auraient remis la scène sous nos yeux ? C’est sans doute que ce tableau ne répondait point à la réalité de ses sentimens. Il faut bien cependant, pour apprécier ses confidences, les comparer au récit officiel. Voici donc en résumé ce qu’on lit dans le Moniteur du 23 janvier 1810. La séance du 22 avait été une véritable solennité. C’était la seconde fois que l’empereur associait le corps législatif à ses triomphes militaires en lui offrant des drapeaux ennemis. Une foule brillante emplissait les tribunes. On remarquait aux