Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/356

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une de ces allocutions harmonieuses dont la dignité un peu théâtrale convenait à ces jours d’apparat.

Voilà la séance officielle avec sa mise en scène. Voulez-vous savoir maintenant ce qui se passait dans l’âme du principal acteur ? En regard de ce récit, il faut placer les candides aveux de Philippe de Ségur. Citons cette page si curieuse où il nous rend compte de ses terreurs et nous apprend ce qui les dissipa. « J’étais parti à pied du château des Tuileries, le cœur assez haut encore, à la tête de 80 grenadiers de la vieille garde et des drapeaux espagnols qu’ils portaient ; mais lorsque, après avoir traversé le jardin du palais impérial jusqu’à la place de la Concorde, je fus arrivé dans le salon qui précédait l’enceinte législative, et que, devant les portes de cette salle prêtes à s’ouvrir, il me fallut attendre le moment où cette scène historique allait commencer, je l’avoue, toute l’orgueilleuse joie de mon âme disparut dans la peur qui me saisit d’y mal soutenir mon rôle, de gâter toute cette pompe et de ne m’en pas montrer assez digne. Comment et de quel air me présenter devant une assemblée aussi considérable ? Avec quelle démarche assez ferme allais-je traverser dignement tant de regards ? Bien plus, lorsqu’il me faudrait monter à cette tribune, pour moi si nouvelle, dans quelle attitude y paraîtrais -je ? De quelle voix assez convenable, assez haute, assez assurée, me ferais-je entendre ? Et quelle humiliation, quelle situation désastreuse, si ma mémoire se troublait, si je n’étais point assez maître d’elle pour me rappeler le discours, préparé d’avance, que j’avais à prononcer, si j’allais enfin rester court au milieu du silence et de l’attention universelle ! Pendant une demi-heure d’attente et de redoublement de cette folle anxiété, mon imagination échauffée la rendit si violente que j’en suis encore à concevoir comment je pus y résister. Je sentais en moi tout se décomposer lorsqu’enfin les portes s’ouvrirent. L’impérieuse nécessité, seule alors, quoique le terrain me semblât manquer sous mes pas, me fit entrer et traverser à la suite des questeurs la salle entière d’un mouvement presque machinal. Arrivé au pied de la tribune, lieu si redoutable que les plus éloquens improvisateurs ne l’abordent jamais, disent-ils, sans une émotion dont leur vie s’abrège, je me croyais incapable de prononcer le moindre mot quand un faux mouvement de mes grenadiers me rendit l’usage de la parole. L’ordre que je leur donnai par habitude m’arracha à mon anéantissement. Ce bruit de ma voix me rassura, il se fit en moi une révolution subite : toutes mes terreurs s’évanouirent… »

Ses terreurs s’évanouirent si bien qu’un des législateurs, M. d’Aguesseau, son oncle, lui fit un singulier compliment : il lui aurait désiré une apparence plus modeste ! Vous devinez s’il accepta gaîment cette critique si peu méritée, lui qui savait à quoi s’en tenir