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souvenir de leur empressement patriotique, fussent conservés comme gardes d’honneur de Napoléon. Voulaient-ils refuser ce titre ? Ils acceptèrent, et c’est ainsi que fut évité l’éclat de la démission en masse.

On s’étonne peut-être de voir l’intrépide officier de cavalerie, le héros de Nasielsk et de Sommo-Sierra, devenir si vite un diplomate consommé. C’était son zèle pour l’empereur qui avait tout fait, ce même zèle qui, aiguisant sa clairvoyance, lui découvrait, dès 1809, la gravité des premiers symptômes de ruine. Ces manœuvres de Fouché, qu’était-ce donc, sinon une révélation des plus graves ? Puisque Fouché préparait des intrigues dans l’ombre, c’est qu’il pressentait la chute de l’empire. Un ministre de la police a des agens partout ; Fouché devait savoir ce que nous avons appris surtout par les Mémoires de Ségur, il devait savoir, il savait certainement que l’empereur était malade, qu’une affection organique des plus sérieuses l’avait obligé à plusieurs reprises de disparaître, de se tenir caché, au milieu même de ses grandes manœuvres. Il savait aussi que tant d’affaires, tant de soucis, une telle surexcitation de toutes les facultés, avaient dû ébranler cette puissante nature, déranger ce prodigieux équilibre. C’était le temps où un autre membre du conseil, l’amiral Decrès, ministre de la marine, disait au duc de Rovigo : « L’empereur est fou. » Ségur ne parlait pas de la sorte ; il était toujours, il est resté jusqu’à la fin pénétré de l’admiration la plus vive pour le génie militaire et administratif de Napoléon ; il est clair pourtant que durant ces trois années, de 1809 à 1812, il a vu se multiplier de mois en mois les signes funestes. Son zèle, qui ne se dément pas un seul jour, rend ses observations plus significatives. J’ai dit que sa droiture était inflexible comme son dévoûment était inépuisable. Il note les fautes, il signale les idées folles, il condamne les entreprises insensées d’où naissent des situations monstrueuses. Oh ! vous ne le verrez point insister, il n’a garde, l’affection et le respect le lui défendent ; mais tout ce qu’il est nécessaire de dire, il le dit, et l’impression de cette parole est d’autant plus poignante. Attentif à tous les symptômes inquiétans, prêt à remplir tous ses devoirs avec une sollicitude toujours plus vive, tel Ségur nous est apparu dans cette première crise que lui révèle l’attitude de Fouché, tel nous le retrouverons dans les dures épreuves qui vont suivre.

Ségur eut encore occasion cette même année de voir se prolonger la querelle de Clarck et de Fouché. L’Autriche était pacifiée, Paris ne l’était pas ; il y avait toujours lutte au sein du conseil. Le ministre de la guerre et le ministre de la police cherchaient à se détruire l’un l’autre dans l’esprit de l’empereur. Clarck adressait des rapports terribles à Schœnbrunn. Il disait savoir de science