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certaine que Fouché avait des rapports secrets avec l’Angleterre, et que d’Anvers Bernadotte entretenait avec lui, comme avec d’autres mécontens, des correspondances séditieuses. C’est alors que Bernadotte fut remplacé à Anvers par Bessières. Si nous possédions les mémoires de Fouché, nous apprendrions certainement quelles accusations il proférait de son côté contre le général Clarck. La querelle en était là lorsqu’au milieu de la nuit du 26 au 27 octobre 1809 Ségur reçut l’ordre de partir immédiatement et d’aller recevoir à Fontainebleau l’empereur revenant d’Allemagne. Il y arrive de grand matin, au moment même où le vainqueur de Wagram entrait au palais, seul et sans escorte. Harassé de fatigue, l’empereur se met au lit et mande Ségur aussitôt. « Eh bien ! s’écrie-t-il dès les premiers mots, qu’est-ce que toute cette affaire de la garde nationale ? » Ségur n’a point de peine à le rassurer au sujet de la garde nationale à pied. Si Fouché n’avait employé des moyens coercitifs et fait courir le bruit d’une insurrection de cent mille ouvriers toute prête à éclater, personne n’eût répondu à son appel. Le licenciement s’était donc effectué à la satisfaction de tous. Quant aux gardes nationaux à cheval, il avoua que l’esprit du régiment était d’abord un peu hostile. Ne devait-on pas s’attendre, en temps de guerre, au mécontentement des gens de commerce et de finances ? Et comme l’empereur récriminait avec véhémence contre cette partie de la société parisienne, comme ses paroles même, au sujet de certains hommes dont le nom venait d’être prononcé, prenaient un caractère menaçant, Ségur se hâta de le calmer en lui rappelant combien ces personnages, si agressifs en leurs propos, étaient faciles à prendre par la vanité. C’était le moment de raconter la fin de l’aventure et les promesses qu’il avait faites. Là-dessus l’empereur se mit à réfléchir, ce qui permit à Ségur de se retirer. Dans ce rapport au maître, il avait évité de rien dire de la querelle des deux ministres, et il s’empressait d’esquiver toute question sur ce point ; ses réponses, quelles qu’elles fussent, auraient pu ressembler à une dénonciation.

Malheureusement il était difficile de garder toujours la même réserve. Deux jours plus tard, causant avec Duroc, Ségur laissa échapper quelques mots sur cette lutte de Clarck et de Fouché ; à l’attention particulière de son interlocuteur, il sentit qu’il avait manqué de prudence. Le lendemain en effet les deux ministres étaient mandés à Fontainebleau. Ségur les vit entrer l’un après l’autre dans le cabinet de l’empereur, Clarck d’abord, qui en sortit bientôt très animé, puis Fouché, dont l’entretien avec le maître dura bien plus longtemps. Le jeune colonel n’était pas sans inquiétude ; il savait que l’empereur avait coutume de citer à l’appui de ses reproches les