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noms des personnes qui d’une manière ou d’une autre avaient éveillé son attention sur l’affaire dont il s’agissait ; l’entretien de la veille avec Duroc n’allait-il pas transformer Ségur en accusateur direct de Fouché ? Bien qu’il fût homme à se défendre, ce n’était pas une chose indifférente d’avoir pour ennemi un pareil personnage. Il sut bientôt à quoi s’en tenir. Écoutons son récit. « Fouché sort, et, du coin de l’œil me voyant là, sans paraître m’apercevoir il parcourt d’abord vivement ce salon avec son agitation accoutumée. Pour moi, négligemment appuyé contre la console de marbre qui fait encore face à la cheminée, j’attendais silencieusement et de pied ferme, lorsqu’enfin, venant directement à moi, il m’interpelle et me propose brusquement une promenade dans la forêt. J’acceptai, préférant à une rancune sournoise, dangereuse dans un chef de police, une explication, quelque orageuse qu’elle pût être. » Cette explication, ce fut la vie de Fouché racontée par lui-même. L’empereur sans doute, à ce que devina Ségur, venait de rappeler à son ministre sa détestable renommée, « sans la décolorer de ces teintes sanglantes et révolutionnaires dont le public et Clarck la surchargeaient. » Aussi, encore tout chaud de cette scène, le ministre de la police ne songeait-il qu’à se réhabiliter, et, comme Ségur avait l’oreille du maître, c’était une excellente manœuvre de l’intéresser à cette biographie largement rectifiée.

« Monsieur de Ségur, dit-il, on fait sur moi bien des suppositions et beaucoup de contes. On prétend que j’ai été prêtre et que je suis marié à une religieuse. La vérité est qu’élevé à l’Oratoire je n’y ai pas même été tonsuré, et que, pour mon mariage, il a eu lieu en 1789, époque où les prêtres ne se mariaient pas et où l’on n’épousait pas des religieuses. » C’est ainsi qu’il entre en matière, décidé à prouver que toutes les accusations dont on l’accable sont des calomnies de la même force. N’ose-t-on pas prétendre qu’il est révolutionnaire ? N’y a-t-il pas des gens toujours prêts à lui reprocher les massacres de Lyon ? « Il y a dans tout cela, dit-il, ignorance, confusion, anachronisme. Qu’il ait fallu hurler plus ou moins avec les loups, se soumettre à des nécessités de circonstance, cela se conçoit ; mais le fait est que, envoyé là après le sac de cette ville, j’en revins révolté avec un rapport contre Robespierre, et que, à dater de ce moment jusqu’au 9 thermidor, je fus son rival déclaré ! » L’histoire ne savait pas que Robespierre avait trouvé en face de lui ce terrible adversaire, jacobin, il est vrai, mais jacobin aristocrate, homme des premières loges regardant s’agiter à ses pieds la populace du parterre. Fouché révèle à Ségur ces secrets de la convention. « Robespierre s’était établi aux Jacobins, et moi dans les comités, d’où je le chassai ; vous allez voir ! J’étais jacobin