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REVUE DES DEUX MONDES.

Je remontai chez Salcècle et portai toute mon attention, d’abord sur la grande table ; devant le fauteuil, un livre ouvert ; devant la chaise élevée, un cahier à moitié écrit d’une, écriture enfantine très ferme et d’une orthographe presque irréprochable ; sur la couverture le nom d’Espérance. C’était un cahier de dictées. Le gros livre était un traité de géologie.

Pas de doutes possibles. M. de Salcède s’était fait le précepteur de Gaston. Gaston venait là tous les jours prendre ses leçons ; mais il n’y était pas venu depuis une quinzaine, car chaque dictée était datée, et l’encre du petit encrier qui servait à l’enfant était sèche, j’en conclus que l’enfant avait été ou absent ou malade. Dans le premier cas, on l’avait conduit à sa mère ; dans le second, sa mère était venue le voir.

J’abordai alors la chose importante, le bureau de M. de Salcède, placé dans l’embrasure de la fenêtre, qui était assez profonde, la partie neuve de l’édifice ayant l’épaisseur qu’il avait dû avoir autrefois. Il n’y avait pas de serrure à ce meuble de fabrique moderne. Il s’ouvrait au moyen d’un secret ; mais il n’y a pas de secret de ce genre pour un valet de chambre investi, comme je l’étais, de la confiance de son maître. En un instant, je trouvai la combinaison, et le meuble fut ouvert sans effraction et sans bruit.

Le cœur me battait à se rompre. Je m’étais tellement monté la tête pour le maintien des droits de Roger que je n’étais en cet instant la proie d’aucun scrupule. Je craignais simplement d’être surpris avant d’avoir pu saisir la preuve de la vérité. Le soleil touchait déjà la cime dentelée des montagnes ; il jetait un vif éclat, mais la nuit viendrait vite dans le cirque, on rentrerait sans doute… Je n’avais plus un moment à perdre.

XLVIII.

La première pièce qui me tomba sous la main fut une lettre datée du matin même et adressée à Mme de Montesparre à Paris ; elle était sous enveloppe, non encore timbrée ni scellée.

« Le Refuge, 18 mai 1850.

« Admirable et généreuse amie, dites-lui qu’il n’y a pas eu et qu’il n’y aura pas de rechute. Il reprend ses fraîches couleurs, il commence à sortir dans le sauvage jardin du manoir. Si on le laissait faire, il irait plus loin. Dans bien peu de jours, il pourra revenir prendre ses leçons au Refuge. Si j’apercevais chez lui la moindre fatigue, j’irais les lui donner au donjon. Ambroise ne le quitte pas et lui est fidèlement dévoué ; mais le sommeil du digne homme est