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FLAMARANDE.

madame est innocente, je le jure, ne le tuez pas, ce pauvre enfant, donnez-le-moi, j’en aurai bien soin, je l’emporterai bien loin, et vous ne le reverrez jamais ! — Et quand vous pensiez parler à la comtesse, vous lui juriez de lui rendre son enfant quand vous l’auriez mis hors de danger. Alors j’en ai su plus long que tout le monde sur l’enfant, et c’est comme cela qu’il a été retrouvé. C’est moi qui ai fait savoir que vous l’aviez emmené pour le sauver, et que, si vous le cachiez à la mère, c’était pour ne pas augmenter le danger. Si j’avais voulu vous faire parler dans ce temps-là, vous n’auriez pas demandé mieux ; mais je ne voulais pas vous mettre dans des embarras avec votre maître, et il valait mieux pour l’enfant que le comte n’eût point méfiance de vous.

Je demandai alors à Ambroise ce qu’il pensait des amours d’Espérance et de Charlotte. — Comment savez-vous ça ? me dit-il.

— Je le sais par madame, à qui M. Alphonse l’a dit.

— Ah ! eh bien ! je pense qu’il y aura du chagrin pour cette affaire-là. Espérance aime Charlotte d’une amitié qui n’est pas commune ; il l’aime depuis le jour qu’elle est venue au monde, et on peut dire qu’il n’a jamais voulu seulement regarder la figure d’une autre femme. Ils se sont élevés comme ça sans se quitter et sans qu’on songe à les reprendre. Il n’y avait pas de mal, et il n’y en a pas ; mais voilà qu’Espérance va devenir M. le comte de Flamarande, et il ne pourra plus être question d’épouser la petite Michelin. Michelin, qui fait le fier à cette heure, qui ne se rend pas volontiers à l’idée de ce mariage-là, se repentira de ne l’avoir pas accordé la première fois que les enfans lui en ont parlé. Il aura la crête bien rabattue, pas moins !

— Vous êtes donc sûr que Mme la comtesse n’y consentirait pas ? Qui sait ?

— M me la comtesse est une femme point fière et bonne comme les bons anges ; mais le frère ? ce jeune homme qu’on ne connaît point, et les autres parens, et enfin tous les gros messieurs et dames de cet ordre-là ? Moi, je n’y connais rien, mais je sais bien que des seigneurs qui épousent des bergères, ça ne se voit que dans les contes et complaintes, et j’ai dans l’idée que notre gars Espérance sentira en lui du changement quand il sera M. Gaston. Pourtant ça n’ira pas tout seul, croyez-moi. Ce garçon-là n’est pas fait comme un autre ; quand il a une idée, elle tient rude.

Je vis à ces réflexions d’Ambroise qu’Espérance n’avait pas encore reçu les quarante mille francs que, sur l’ordre du comte de Flamarande, je lui avais expédiés de Londres au moment même où ils m’avaient été remis. Pour faire parvenir l’argent que je lui envoyais tous les ans par la poste, sans lui en laisser soupçonner la prove-