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nance, il me fallait le faire passer par plusieurs mains avec de grandes précautions. J’avais cru ne pas devoir parler à la comtesse de ce don in extremis, qui avait pour but de fixer le sort de son fils sans consulter sa volonté. Je n’étais pas forcé de dire que je l’avais provoqué, ni même d’avouer que j’en eusse connaissance. Par là, j’échappais au blâme et me tenais en dehors des conséquences.

LX

À neuf heures du soir, on vint m’appeler avec Ambroise de la part de madame, et je la trouvai au donjon avec ses deux amis et Hélène Hurst, admise aussi au conseil.

On se souvient que depuis longtemps le donjon, confié aux soins et à la garde d’Ambroise Yvoine, avait été mis en bon état de réparation. Ambroise l’avait toujours habité depuis avec Espérance, le père Michelin trouvant convenable de ne pas élever un garçon dans le même local que ses filles. M. de Salcède avait veillé à ce que ce donjon fût pour son élève une habitation saine et aussi riante que peut l’être une tour féodale. Il l’avait meublé et lambrissé très convenablement, surtout depuis l’époque où la comtesse y était venue en secret voir son enfant malade. Dans la prévision d’une nouvelle éventualité de ce genre, il avait, outre la chambre d’Espérance, arrangé une pièce pour elle, disant aux Michelin qu’il mettait là en dépôt des meubles qu’il ne pouvait loger au Refuge. C’est dans cette pièce que Mme de Flamarande était installée tandis que M me de Montesparre occupait l’appartement d’Espérance, situé au-dessous, chaque étage du donjon ne contenant qu’une pièce à pans coupés, avec des cabinets dans les tourillons.

Madame vint à nous, nous serra les mains et nous fit asseoir, puis on ferma les portes et on attendit que M. de Salcède eût fini d’écrire quelque chose. Je le regardais curieusement. Il avait toujours son habit de paysan, qu’il portait avec l’aisance d’un gentilhomme ; il était toujours aussi beau que je l’avais vu au Refuge, et madame était aussi belle qu’au lendemain de son mariage. Elle avait trente-huit ans, il en avait quarante-trois : c’est peut-être l’âge des grandes passions pour les deux sexes. Mme de Montesparre n’était pas aussi merveilleusement conservée que Mme la comtesse, elle avait pris un peu d’embonpoint ; mais, toujours mise avec un goût exquis, elle ne paraissait guère avoir plus de trente ans, bien qu’elle eût la quarantaine. C’était toujours une charmante femme, très sympathique, et qui me sembla même plus séduisante et plus intéressante qu’autrefois. Elle ne méritait pas l’accusation de légèreté que M. le comte avait portée sur elle. Elle avait aimé unique-