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— Alors, madame la baronne, votre idée est excellente, et je m’y rangerais complètement dans le cas où Mme la comtesse reviendrait, par excès d’amour maternel, sur la décision que vous lui avez fait prendre aujourd’hui.

— Pourquoi cette restriction, monsieur Charles ? Est-ce que mon idée n’est pas bonne dans tous les cas ?

— Je serais embarrassé de vous bien exprimer ma répugnance. Un mariage avec l’homme accusé à tort ou à raison par le défunt mari…

— Oh ! le défunt mari, s’écria un peu vivement la baronne, Dieu ait son âme et lui fasse grâce ! Quant à moi… — Elle s’arrêta brusquement ; nous traversions la chapelle, car on avait fermé, sans nous savoir dehors, la porte des étables, et nous étions revenus sur nos pas pour traverser cette chapelle, dont la porte sur la cour devait rester ouverte toute la nuit à cause de la veillée du prêtre. En passant devant le catafalque, qu’éclairait tristement la lueur des cierges. M me de Montesparre, qui était au moment de jeter sur le défunt un blâme énergique, fut saisie de peur et prit mon bras par un mouvement nerveux, comme si elle eût vu le comte de Flamarande se dresser hors de son suaire de plomb. Moi, j’éprouvai une émotion non moins vive, mais de surprise et non de frayeur. Le prêtre n’était pas seul à veiller. Il y avait, à peu de distance de lui, un jeune paysan agenouillé sur la tombe du berger Gaston, immobile, et la tête dans ses mains, comme plongé dans la douleur ou dans la méditation.

— Est-ce lui ? demandai-je tout bas à la baronne quand nous fûmes sur le seuil pour sortir.

— Qui, lui ? me répondit-elle de même.

— Gaston. Je ne l’ai pas vu depuis beaucoup d’années ; je ne le connais plus.

— Je n’ai remarqué que le prêtre, reprit-elle. Voyons donc !

Elle fit un pas pour regarder l’inconnu, mais au frôlement de sa robe il se détourna tout à fait et s’effaça dans l’obscurité. La baronne sortit avec moi et me dit : — Ce ne peut pas être Gaston, il est au Refuge.

— Le Refuge est bien près, madame la baronne, surtout par l’espèlunque !

— Ah ! vous savez donc tout ? Mais il faut savoir encore ceci : comment et pourquoi Gaston viendrait-il prier ou méditer ?..

— Madame la baronne connaît-elle la légende du berger Gaston ?

— Parfaitement, elle est trop liée à l’histoire actuelle des Flamarande pour que je l’ignore.

— Eh bien ! le nouveau Gaston, qui, au contraire de l’ancien, sur-