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FLAMARANDE.

senta en me demandant si je le reconnaissais, et on me dit qu’il se souvenait de moi. — Vous vous souvenez peut-être, lui dis-je pour l’éprouver, que vous ne m’aimiez pas et que vous ne répondiez pas à mes avances.

— Cela, dit-il, je n’en sais plus rien, et je vous en demande pardon. Ambroise m’a dit hier que vous étiez un homme très bon ; je ne demande à présent qu’à vous aimer. — Et il me tendit la main avec une cordialité douce qui m’alla au cœur. Je me souvenais, moi, de l’avoir si tendrement chéri dans ses premières années !

Je l’examinais curieusement sans qu’il y prît garde, occupé qu’il était de rassurer Suzanne Michelin, qui, pour préparer le repas, n’avait pas assisté à la cérémonie et s’inquiétait beaucoup de l’accident arrivé à son fils adoptif. Je vis qu’elle l’aimait tendrement et qu’elle était fière de lui. — Voyez, me dit-elle, comme un malheur peut arriver sans qu’on y songe ! Ne serait-ce pas dommage qu’un enfant si beau et si bon nous fût enlevé ? Pour moi, je le pleurerais comme si je l’avais mis au monde !

Malgré l’admiration de sa mère et de sa mère adoptive, Gaston n’était pas ce que l’on appelle beau. Il n’avait pas la taille élevée de M. de Salcède et les traits réguliers ni le teint éblouissant de Roger ; mais il était charmant, et ce charme augmentait à mesure qu’on l’observait. Sa physionomie, sobre d’expression, avait des finesses inouies d’affection et de sensibilité. Il était si sympathique et si distingué, même en conservant son parler et ses allures rustiques, que je comprenais l’amour de Charlotte et l’orgueil de Mme de Flamarande.

Il échappa bientôt à mon attention. Michelin avait un grand dîner. Tandis qu’au donjon on se contentait d’un lunch à offrir aux personnes qui avaient pris la peine de venir, tous les invités de la ferme, et ils étaient nombreux, comptaient sur le solide repas d’usage. Suzanne et ses filles préparaient tout avec activité, Ambroise mettait le couvert dans une vaste grange, et Espérance, affublé d’un tablier blanc, portait gaîment les soupières et les plats fumans avec Charlotte. Les convives arrivaient, amenés par Michelin. J’allais aussi me mettre à table, Espérance avait dressé mon siège à la place d’honneur et s’apprêtait à me servir lorsque Roger entra, répondit gracieusement aux saluts qu’on lui adressait et vint à moi. Je me levai, il me fit rasseoir, et, se penchant à mon oreille : — Déjeune tranquillement, me dit-il, mais désigne-moi le jeune homme qui a eu un accident dans la chapelle.

Je ne pus cacher un moment d’émotion : — Que lui voulez-vous donc ?

— Ça ne te regarde pas. Je ne veux pas que tu te déranges. Dis-moi son nom, je le chercherai,