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FLAMARANDE.

jeta sur elle la fit rentrer en elle-même. Elle se laissa retomber sur son fauteuil en disant : — Ah ! je suis bien contente de le voir ; je l’ai cru écrasé sous ce cercueil ! Quelle émotion affreuse !

— Madame la comtesse est trop bonne, répondit Espérance avec le parler auvergnat, d’autant plus qu’elle ne me connaît pas. Je suis venu malgré moi me présenter devant elle ; M. le comte l’a voulu. À présent je m’en retourne à mon ouvrage, priant madame de m’excuser ; mon père a besoin de moi à la maison.

— Votre père ? dit la comtesse stupéfaite de tant d’empire sur soimême.

— Le père Michelin, le fermier de madame la comtesse. Il n’a que des filles, c’est vrai, mais il m’a élevé et il va me donner son nom avec la main de sa plus jeune, — si madame la comtesse, qui est notre maîtresse à tous, — et monsieur le comte, qui est notre maître et dont je vas devenir le fermier, veulent bien approuver la chose et m’agréer pour serviteur dans le château de Flamarande.

Ayant ainsi parlé, Espérance, sans attendre la réponse et saluant à la manière des paysans, se retira vivement et descendit l’escalier, où ses gros souliers, frappant sur la pierre, retentirent comme un galop de poulain échappé.

Roger avait repris sou entrain naturel. — Eh bien ! tu vois, ma bonne mère, dit-il, que le jeune gars a bonne envie de vivre. Il va épouser la filleule de Charles, à ce qu’il m’a dit tout à l’heure. Savais-tu cela ?

— Non, répondit la comtesse, maintenant son émotion : Charles ne me l’avait pas dit.

— C’est monsieur le comte qui me l’apprend, répondis-je.

— Je ne l’invente pas, reprit Roger ; il m’a mis au courant en traversant la cour. Diantre ! elle est jolie, ta filleule ! Je l’ai aperçue à l’église, et je m’explique le cri qu’elle a jeté, — un vrai bijou !.. Le gaillard n’est pas malheureux. Allons, maman, souris donc un peu, ton inquiétude est passée. Tu vas prendre quelque chose, tu es à jeun, tu es faible, et toutes ces solennités funèbres t’ont donné sur les nerfs. Ne t’occupe pas de ces provinciaux qui sont là, la chère baronne en prend soin, et je vais l’aider à les expédier.

— Songe à toi, répondit la comtesse. Va déjeuner, je le veux. Je suis très bien à présent. J’ai toute ma tête et ne comprends rien à la frayeur que j’ai eue ; va, mon enfant !

— Oui, mais à la condition que Charles te fera manger ce que je vais t’envoyer. Promets-moi de manger.

— Oui, oui, certainement je te le promets.

Roger sortit, et je le suivis pour apporter quelques alimens à la comtesse. Je restai quelques minutes seulement à choisir ce qui pourrait lui plaire dans l’état d’accablement où elle était. En re-