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du gouvernement parlementaire en Angleterre, tout en essayant de le corrompre, Robert Walpole. Ce goût pour la biographie mêlée à l’histoire, M. de Rémusat l’a appliqué à la philosophie. La première application qu’il en a faite a eu un grand succès : son héros prêtait singulièrement; héros d’école, héros de roman, illustre dans la science du sic et non, c’est-à-dire dans la dialectique, non moins illustre dans l’histoire du cœur, plus populaire encore par la femme aimée et séduite que par ses propres malheurs, Abélard, si l’on en croit une chronique indiscrète, aurait d’abord été pour M. de Rémusat le sujet d’un drame romantique : le drame le conduisit à l’histoire du héros, et de son histoire à sa philosophie. C’est ainsi qu’une fantaisie d’imagination nous a valu l’un des plus savans ouvrages de notre temps. Un autre attrait, un intérêt plus sévère, mais non moins dramatique, l’attacha à une des plus grandes figures du moyen âge, saint Anselme, le successeur de Thomas Becket dans l’archevêché de Cantorbéry, l’héritier de ses traditions ultramontaines, ayant lutté comme lui, mais avec une plus vraie vertu et plus de modération, contre le pouvoir civil, — en même temps grand métaphysicien, inventeur d’un argument mémorable, auquel serait suspendu, s’il en faut croire Kant, le sort de toute la métaphysique. Une fois en Angleterre, M. de Rémusat n’en est plus sorti, et, franchissant tout le moyen âge, il trouva au XVIe siècle, dans le plus grand personnage philosophique du temps, dans le chancelier Bacon, une tentation nouvelle pour son talent de biographe et sa curiosité de philosophe. Ici ce n’étaient plus les nobles douleurs de la passion ou la grandeur du caractère qui devaient inspirer son pinceau : ce qu’il avait à peindre, c’étaient les bassesses de l’homme politique et les hontes du ministre prévaricateur, triste exemple de l’union d’un grand génie et d’un triste caractère, exemple heureusement rare en philosophie, car parmi les grands noms qui honorent notre science il en est bien peu auxquels on puisse attacher la qualification de malhonnête homme. Enfin le récent ouvrage de M. de Rémusat, que nous avons plus particulièrement à étudier, nous montre partout l’union constante de la biographie et de la philosophie.

J’ai signalé un autre trait que je n’ai pas craint de qualifier d’étrange chez un écrivain qui appartient à la sphère mondaine, lettrée, politique, où est né et où vit M. de Rémusat. Ce trait est le goût du technique en philosophie. Qu’un homme d’école aime les choses d’école, rien de plus naturel. Ce n’est pas par le technique qu’une science s’empare de vous; cependant, lorsqu’elle vous a pris par ses grands côtés, elle vous enchaîne à ses aridités, et la nécessité vous les fait supporter et finit même par vous les faire aimer; mais l’écrivain homme du monde, qui a le droit de prendre et de choisir