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de chambre et dites-lui de vous servir. Quelques jours vous suffiront pour la juger. C’est un idéal de candeur et de pureté. Quant à son intelligence, voulez-vous voir ses cahiers d’études ? Tenez, voici des extraits et des appréciations de ses lectures. Regardez ces fleurs dessinées et coloriées par elle. Quel sentiment exquis de la nature ! Et ces broderies d’ornement, quel goût ! C’est une coloriste ; elle a l’intuition de tout ce qui est beau et bon. Elle adore Espérance, son compagnon, son protecteur, son ami inséparable. Ils vivront toute leur vie comme ils l’ont vécue déjà, sans découvrir une tache l’un dans l’autre, sans comprendre d’autre joie que celle de s’appartenir. Ils croiront l’un en l’autre comme ils croient en Dieu, ils se respecteront…

— Marions-les ! s’écria la comtesse vaincue et les yeux pleins de larmes. Ah ! l’amour, la foi, le respect mutuel… Quand il n’y a pas cela dans le mariage, il n’y a qu’esclavage, honte et désespoir !

Elle se leva, sentant que le cri suprême de sa vie lui échappait devant moi. La pendule sonnait la demie après neuf heures. — Nous nous en irons par la montagne, me dit-elle ; dans le souterrain, nous risquerions de rencontrer Gaston. Adieu ! ajouta-t-elle en tendant ses deux mains à Salcède avec une franchise d’effusion souveraine ; comme toujours, vous m’avez délivrée d’une mortelle anxiété, comme toujours vous m’avez rendu l’espoir et la confiance. Soyez béni, vous ! toujours béni !

Elle paraissait exclusivement maternelle dans cet élan, et ne pas souffrir de ma présence. Salcède pâlit et rougit simultanément comme un homme dont les passions ne seraient point assouvies, et qui aurait conservé l’impressionnabilité de la première jeunesse. Il me sembla le revoir comme au temps où il avait l’âge de Gaston, frémissant d’effroi et de plaisir, quand, sur la route de Flamarande, la comtesse appuya pour la première fois son bras sur le sien.

Nous revînmes, la comtesse et moi, par un sentier très direct, que je ne connaissais pas, et qui était d’autant plus difficile que la nuit était très sombre. J’ai toujours redouté les ténèbres. Il semblait qu’elles n’existassent pas pour elle, car elle marchait d’un pas rapide et résolu, sans broncher, légère comme un oiseau, disant qu’elle avait eu avec Gaston des rendez-vous par tous les temps et dans des endroits impossibles, et qu’à cause de cela elle s’était exercée à marcher et à passer partout dans les falaises de Ménouville. Comme elle est jeune encore ! pensai-je, et comme cette maternité mystérieuse l’a conservée enthousiaste et romanesque !

En ce moment, elle était particulièrement exaltée. Quelle bonne nuit fraîche ! me disait-elle, et quel beau silence ! Comme je comprends l’amour de Salcède et de Gaston pour ces montagnes ! Ils ne