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FLAMARANDE.

voudront jamais les quitter définitivement, je le crains, ni se séparer l’un de l’autre ; c’est tout simple. Ils ont les mêmes goûts, les mêmes idées : la solitude ! Ce n’est pas là l’idéal de Roger ; c’est tout le contraire, et ma vie est liée à la sienne. C’est lui qui a le plus besoin de moi. Gaston est si sage et va être si heureux ! Roger, majeur dans quelques mois, aura mille tentations et vivra au milieu des périls. Je n’aurai pas sur lui l’autorité qu’un caractère admirable et une intelligence supérieure donnent à Salcède sur Gaston. Je ne pourrai guère quitter mon cher volcan pour mon beau lac paisible. N’importe, Salcède dit qu’il le rendra si heureux ! Je reviendrai les voir, nous reviendrons, Charles, le plus souvent possible ; je le verrai plus souvent qu’auparavant et plus librement. Je sais bien que chaque fois, en quittant Gaston, mon cœur se brisera, oui, je pleurerai encore,… pour n’en pas perdre l’habitude ; mais je saurai qu’il est heureux, et je tâcherai que Roger soit assez sage pour être heureux aussi. Hélas ! l’amitié de son frère lui eût fait tant de bien ! Je suis sûre qu’un frère aîné comme Gaston eût été pour lui un grand exemple, un guide qu’il eût écouté. Il faudra que Salcède m’apprenne à diriger et à contenir ce caractère impétueux, car je ne sais pas, moi ! je ne sais que l’adorer. Ce n’est pas assez, n’est-ce pas, Charles ?

Elle parlait avec tant d’animation et si peu d’embarras des perfections de Salcède, que je fus pris de je ne sais quel mouvement d’humeur et en même temps de curiosité. J’oubliai les convenances du moment et la prudence qui m’était imposée ; je lui parlai des projets de mariage entre elle et Salcède, que la baronne m’avait confiés la veille.

Elle n’en parut ni surprise ni troublée, et je vis bien qu’elle y avait déjà songé ; mais elle ne me répondit pas et me questionna sur le ton et l’attitude qu’avait eus la baronne en me faisant cette ouverture, comme si la crainte de désespérer son amie eût été la seule objection qu’elle pût faire à ce projet. Tourmenté d’inquiétude et altéré de vérité, je l’assurai que Mme de Montesparre était sincère dans la pensée de son sacrifice. — Prononcez-vous donc librement, madame la comtesse, lui dis-je, et ne craignez pas de me dire vos intentions.

Elle gardait le silence ; elle s’arrêta et parut réfléchir profondément. Une étrange impatience me gagnait. J’allais insister, elle mit la main sur mon bras et me dit à voix basse : — Écoutez ! on parle à vingt pas de nous, et c’est la voix de Gaston !

En effet, Gaston était sur le sentier où nous allions le croiser. Il n’était pas seul, une douce voix, celle de Charlotte, répondait à la sienne. Les deux amoureux allaient ensemble au Refuge par le