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détail fastidieux des intrigues, des conflits, des complots qui se nouent et s’enchevêtrent chaque jour sur ce champ de discorde entre ces groupes hostiles ; le prosélytisme religieux et les convoitises temporelles les maintiennent dans cet état de fièvre permanente qui surprend si fort l’étranger et s’empare bientôt de lui, s’il n’y prend garde. Redirai-je avec quelle douleur le chrétien assiste à ces mesquines querelles dans le lieu qui devrait être par excellence le temple de la paix et de la charité ?

Pourtant, et c’est sur cette idée que je voudrais terminer cet aperçu et quitter Jérusalem, le penseur qui examine sans parti-pris ce spectacle attristant en appelant à lui le secours d’une philosophie plus haute peut en dégager une sereine et consolante leçon. Tandis que les sectaires épousent telle ou telle colère, tandis que les âmes simples se révoltent en perdant leurs illusions, il néglige les passions et les petitesses humaines, dont il serait puéril de s’étonner, pour ne retenir que le mobile unique dont elles procèdent : il pardonne à ces soldats aveugles de la même cause de s’entre-tuer pour la couleur de leur drapeau ; plus frappé de l’unité fondamentale que des divergences apparentes, il se demande quelle attraction mystérieuse pousse les esprits à ce centre commun de tous les pôles du monde moral comme du globe terrestre ; il écarte ou coordonne les formes diverses appropriées aux traditions, au tempérament, à l’état social et intellectuel de chaque race, pour s’arrêter au principe éternel qu’elles revêtent, et qui vient chercher ici la source de la plus haute révélation par laquelle il se soit jamais manifesté ; il reconnaît dans ces notes dissemblables l’hymne universel qui monte au ciel du fond de tous les cœurs humains. Indulgent pour des erreurs qui ont leur raison d’être, il comprend tous ces esprits, venus de directions opposées, qui lui veulent donner pour absolus leurs points de vue relatifs ; mais il tâche de s’élever assez haut pour embrasser l’ensemble de cette vérité abstraite que chacun d’eux voit sous un angle partiel. Les navigateurs qui suivent des routes contraires sur la haute mer se guident tous sur une même étoile ; elle apparaît à chacun sous une inclinaison différente, les nuages l’interceptent, l’horizon la dérobe, cet infini change d’apparences au gré de leur course vagabonde, et pourtant ils poursuivent avec sécurité le chemin qu’elle a marqué. Ainsi de la lumière éternelle dont un reflet luit sur ce tombeau et y attire les peuples de la terre ; les voiles dont ils l’entourent et les couleurs que leurs yeux prévenus lui prêtent la cachent moins que leurs adorations unanimes ne la découvrent.


EUGENE-MELCHIOR DE VOGUE.