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est considérablement enrichi dans les affaires, et a fait à sa ville d’adoption ce cadeau digne d’un roi. Cet homme bienfaisant n’y a mis d’autre réserve que, de finir doucement sa vie au milieu de cet asile fleuri, libéralement ouvert à tous. Il n’est pas permis d’y fumer pour ne pas empester l’air que respirent les plantes, et le généreux donateur a pensé avec raison que la famille végétale avait droit à tous les égards.

Faut-il en finissant citer le champ de foire de Saint-Louis, établi vers une autre partie de la ville ? Chaque année, en septembre, il s’y ouvre une exposition agricole où se pressent environ 100,000 excursionnistes, accourus de tous les états qu’enserre la vallée du Mississipi. La surface occupée est de 35 hectares ; c’était hier une forêt, et l’on y montre entre autres curiosités, à côté d’un beau parc à l’anglaise où paissent les daims, un immense cirque dont le pourtour intérieur a 400 mètres de développement, et qui peut contenir 40,000 spectateurs assis sur deux rangées de sièges ; 50,000 peuvent en outre circuler à l’aise dans deux promenoirs disposés entre chaque rangée : en tout 90,000 spectateurs. Un aimable compatriote, agent consulaire de France à Saint-Louis, et qui a bien voulu me servir de cicérone, me faisait un jour remarquer que l’architecte avait ménagé sous le cirque, au lieu et place des vomitoires, la construction de cent buvettes ; décidément le colisée de Rome est dépassé.

Telle est cette ville intéressante, non point aussi hardie sans doute ni aussi audacieuse dans ses développemens successifs que Chicago, mais allant comme elle vers l’avenir d’un pas non moins accéléré et certain. L’une et l’autre ont conscience de leur destinée future, et luttent à l’envi à qui dépassera sa rivale. Il est parfois réjouissant d’assister aux diverses. phases de ce combat d’un genre nouveau. Quand Chicago, s’armant des données de son directory, ce guide du commerce que toute cité américaine publie chaque année avec un soin vigilant, quand Chicago prétend avoir aujourd’hui 500,000 habitans, Saint-Louis répond qu’elle n’y a aucun droit, parce qu’en multipliant par quatre le nombre des négocians inscrits sur ses listes elle fait une fausse opération, a Les gens de Chicago, dit-elle, sont presque tous des célibataires, qui vivent à l’hôtel, des commis sans famille qui sont venus chercher fortune dans l’ouest, et qui ont même été recensés deux fois, dans le boarding où ils vivent et dans le bureau où ils travaillent. A Saint-Louis, c’est bien différent, chacun a son foyer, son home¸ est marié, a des enfans et représente en moyenne une famille de quatre personnes : le père, la mère, le fils et l’aide, le serviteur. Et puis le directory de Chicago a été fait par un renégat, par un échappé de Saint-Louis. »