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silencieux comme le palais même de la Belle au bois dormant, et alors, par une inconséquence naturelle aux femmes, le courage faillit lui manquer. Miss Nelly songea aux dangers qu’elle venait de courir, aux ours, aux tarentules, aux ivrognes, aux lézards ; son cœur battait à coups redoublés. Elle reprit peu à peu cependant quelque présence d’esprit, rajusta l’une de ses tresses d’un noir bleu qui s’était dénouée pendant l’ascension, s’assura que son flacon, son porte-cartes, son mouchoir brodé, étaient à leur place, et, retrouvant son calme et son aisance ordinaires, monta les marches de la vérandah pour donner un coup de sonnette auquel on ne devait pas répondre, elle le savait bien. Néanmoins elle attendit le laps de temps convenable avant de faire le tour de la vérandah en examinant les volets fermés des fenêtres à la française jusqu’à ce qu’elle en eût trouvé un qui céda sous ses doigts. Ici elle fit une nouvelle pause pour se mirer dans la longue vitre qui la reflétait du haut en bas, accorda un petit sourire d’approbation à sa jolie tournure, puis ouvrit la fenêtre et entra sans façon.

Bien que fermée depuis longtemps, la maison exhalait une odeur de peinture fraîche et de vernis qui n’est pas le propre des maisons hantées ; les tapis diaprés de fleurs, les murailles tapissées gaîment, semblaient destinés au seul usage de personnes bien vivantes. Sous l’empire d’une curiosité enfantine, miss Nelly se mit à explorer toutes les chambres les unes après les autres, d’abord avec précaution, poussant chaque porte pour reculer ensuite d’un pas, prête à battre en retraite, puis avec plus de sûreté à mesure qu’elle les trouvait toutes décidément inhabitées. Dans la plus belle, il y avait un vase rempli de fleurs et une table de toilette toute garnie ; ceci conduisit miss Nelly à remarquer que dans cette maison on eût en vain cherché un grain de l’inévitable poussière qui se glisse partout à Five-Forks. Si la maison était hantée, ce devait être par un esprit qui s’entendait à épousseter et à balayer. Pourtant personne n’avait encore couché dans les lits ; le fauteuil où elle s’assit craqua comme un siége qui cède pour la première fois, et en dépit de l’aspect propre, joyeux et engageant de toutes choses, il était évident qu’on ne s’en servait pas. Nelly avoua depuis qu’elle avait été prise d’un désir irrésistible de « bouleverser un peu tout cela. » Le piano du salon eut raison de ses derniers scrupules, elle l’ouvrit et posa le doigt sur l’une des touches, puis essaya quelques mesures auxquelles sembla répondre toute la maison. Elle s’arrêta, prêta l’oreille, les chambres vides n’avaient plus de voix ; miss Nelly sortit de nouveau sur la vérandah ; un pic martelait l’arbre le plus proche, et le bruit d’une charrette dans la gorge rocheuse au-dessous de la montagne montait faiblement. On ne voyait personne au loin ni