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matérialiste de composition et de style ; il se mêle toujours chez lui quelque chose de sensuel aux hymnes de l’amour, et, quant à ses tableaux, le dessin y disparaît sous l’empâtement des couleurs. Ce serait à croire qu’il se fait de l’art d’écrire la même idée que certain rapin qu’il a mis autrefois en scène se fait de l’art de peindre ; il ne s’agit que de plaquer « une tache rouge à côté d’une tache bleue, » d’amener violemment tous les détails au même plan et d’y passer une enluminure criarde : c’est le secret des imagiers d’Épinal. On peut penser ce que devient, au milieu de cette fureur de description, l’honnête clarté de la langue française. Ce n’est pas de ne plus voir, c’est de ne plus comprendre qu’il faut se plaindre. La sensation y est peut-être, vague, indéterminée, la sensation de l’éblouissement et du rêve ; mais l’âme en est absente, — absente aussi des personnages, du prêtre, qui ne connaît de la religion que les extases et l’hallucination, — d’Albine, qui ne sent guère de l’amour que l’éveil physique dans un corps vierge brûlé des ardeurs d’un soleil du midi, — de Désirée Mouret, la sœur de l’abbé, pauvre idiote à qui M. Zola ne fait pas prononcer dix mots qu’ils n’enferment quelque grossière indécence, — de ces villageois brutaux qui passent au fond du tableau, repoussans d’impiété grossière, de cynisme et d’impudeur. Il faut voir aussi de quels traits M. Zola note leurs émotions : rient-ils, c’est « d’un rire sournois de bête impudique ; » s’ils désespèrent, c’est « en soufflant fortement, pareils à des bêtes traquées ; » s’ils se repentent, ce sont « des monstres qui se battent dans leurs entrailles. » M. Zola n’a-t-il pas même écrit que, s’ils étaient beaux, c’était « d’une beauté de bête ! » Le mot lui revient à chaque page ; c’est qu’il sort pour ainsi dire de la force de la situation. Cependant le prêtre un jour comprend son crime : il revient au presbytère, et là, dans la macération et le remords, il tâche d’oublier. Albine désespérée meurt d’abandon et d’amour sous la caresse mortelle des fleurs qu’elle a tant aimées. N’insistons pas sur l’étrange symphonie où l’on entend les violettes « égrener des notes musquées, » et les belles-de-nuit « piquer des trilles indiscrets, ; » aussi bien les souvenirs du Ventre de Paris nous défendent-ils toute surprise.

Il est douloureux de constater que le roman en soit là, d’autant plus douloureux qu’évidemment M. Zola est un écrivain consciencieux, qui produit peu, ce dont on ne saurait trop le louer, qui conduit habilement ses intrigues, qui sait tracer un caractère, qui doit dépenser à ses tableaux une peine infinie d’observation, qui possède des qualités sérieuses d’invention et de force ; comment ne voit-il pas que ce parti-pris de brutalité violente ne peut, même aux mains d’un plus habile encore que lui, produire que des monstres dont l’aspect étrange étonne et surprend un moment, mais qui ne laissent dans l’esprit que le souvenir de beaucoup de talent inutilement employé ? « Ces caractères, dit-on, sont naturels ; par cette raison, on occupera bientôt tout l’amphithéâtre d’un