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homme ivre qui dort ou qui vomit ; y a-t-il rien de plus naturel ? » Plût aux dieux que M. Zola n’eût jamais dépassé le terme que condamnait La Bruyère.

Au moins avec M. Malot, si nous ne pénétrons pas dans un monde où les sentimens soient beaucoup plus élevés, nous n’avons pas à redouter de semblables intempérances. Il y a longtemps que M. Malot s’est fait comme un domaine privé du genre honnêtement ennuyeux. On s’endormira peut-être sur ses romans, on n’y sursautera ni d’indignation, ni de fou rire. Les constructions de M. Malot ressemblent à l’épure lourde, mais correcte, qu’un bon charpentier de village ajuste consciencieusement sur le terrain. Elles ne doivent pas d’ailleurs coûter beaucoup de peine à leur auteur, le plus fécond certainement des romanciers contemporains. Clotilde Marlory, — le Mariage de Juliette, — une Belle-Mère, — le Mari de Charlotte, — la Fille de la Comédienne, — l’Héritage d’Arthur, — voilà depuis moins de deux ans l’œuvre de M. Malot ; on n’a pas fini de lire son dernier roman que le suivant a déjà paru. Heureusement que la critique n’est pas une statistique littéraire et qu’elle ne mesure pas sa tâche à la quantité de la production : il suffit qu’elle sache à peu près son compte, libre d’ailleurs d’insister plus particulièrement sur telle œuvre qui, par sa valeur propre ou les tendances qu’elle révèle, méritera d’être considérée de plus près. A ce double point de vue, nous choisirons entre tous ces romans le Mariage de Juliette et une Belle-Mère, deux épisodes qui se font suite. Il nous semble que, conçus dans un autre système, animés de quelque émotion, mieux écrits surtout, ils pourraient compter au nombre des meilleurs récits de M. Malot. Du moins les préférons-nous à cette longue et verbeuse histoire de captation d’où l’auteur a tiré ses deux derniers volumes, la Fille de la Comédienne et l’Héritage d’Arthur.

Dans le quartier populeux et commerçant du Temple, une maîtresse femme, Mme Daliphare, a formé lentement une grande maison ; son mari n’a pas compté dans sa vie, c’est sur son fils qu’elle a reporté toutes ses espérances. Elle aurait fait d’Adolphe le successeur qu’elle rêvait, s’il ne s’était épris d’une jeune fille, Juliette Nélis, qu’il a connue dès l’enfance et sous l’œil même de sa mère. Son père mort, aussitôt qu’entré dans sa royauté commerciale, il songe à en faire sa femme ; mais il redoute l’accueil certain que fera Mme Daliphare à la proposition d’une bru qui manque de la première des vertus qu’elle exige, la fortune. C’est du notaire de la famille que viendra le salut. Me de La Branche attaquera directement Mme Daliphare au défaut, dans son orgueil commercial ; il lui proposera pour Adolphe une riche héritière, mais dont la famille exige une liquidation des droits de la mère et du fils, exigence à laquelle Mme Daliphare refusera de se soumettre, et, quand elle sera bien convaincue qu’il n’en saurait aller autrement, ce sera elle-même qui conclura le mariage en dépit de la déclaration de Juliette, qui n’a pour Adolphe que