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chasse, était muette et comme abandonnée. La comtesse et la baronne étaient encore jeunes et toujours belles pourtant, mais la comtesse y retrouvait le souvenir d’un événement qui avait torturé sa vie, et où la baronne avait vu se flétrir sa plus douce illusion. Pour comble de douleur, elle y avait perdu son fils unique, sa plus chère consolation, et au fond du jardin, dans un coin jadis aimé d’elle, les roses fleurissaient sous les cyprès autour d’un tombeau de marbre blanc qui ne portait que ces mots : Ange de Montesparre, quinze ans.

Elle y allait tous les matins pleurer seule et en se cachant bien. Le reste du jour, elle était animée, affable, occupée des autres, hospitalière avec une grâce infinie ; mais elle recevait peu de visites et ne donnait plus aucune fête. Cette femme, si malheureuse et si bonne, m’intéressait vivement, et j’eusse voulu la voir unie au seul homme qu’elle avait aimé. Mme de Flamarande osait à peine lui parler de ses propres chagrins, car elle lui répondait alors : — Votre Gaston est vivant, c’est moi qui ai perdu Y espérance de ma vie ! Vous avez toujours été adorée de Salcède sans rien faire pour cela, et moi je n’ai eu pour récompense du sacrifice de ma vie entière que sa très paisible amitié.

Alors Mme de Flamarande voulait lui persuader qu’elle avait la meilleure part, la plus durable, et qu’elle finirait par être Mme de Salcède. Elles continuaient un combat très féminin de générosité, comme celui qu’en sens contraire elles s’étaient livré autrefois, alors que Rolande travaillait pour Berthe auprès du beau Salcède. Maintenant Berthe travaillait pour Salcède auprès de son amie et avec bien plus de chances pour l’emporter. Comme elles ne se gênaient pas beaucoup pour parler devant moi de ces choses délicates, il devenait évident à mes yeux que l’amour de Gaston et celui de son père adoptif étaient inséparables dans le cœur de Mme de Flamarande.

Mais ma grande préoccupation était ailleurs, car je préférais Roger à tous les autres, et sa rêverie m’avait fort inquiété. Je vis avec plaisir qu’au bout de trois jours il n’y songeait plus ; la prédiction de Salcède se réalisait. Il ne s’amusait pas beaucoup à Montesparre ; il ne songeait qu’à revoir Paris. Sa mère lui fit comprendre qu’au lendemain de la mort de son père il ne devait pas reparaître dans le monde avec le visage fleuri et le cœur léger qu’il ne pouvait se défendre d’avoir. Elle l’engageait à laisser passer quelques semaines sur l’événement et à se distraire du mieux qu’il pourrait en Auvergne. Il parut se rendre à son avis et accepta l’invitation que lui firent les jeunes Léville d’aller chasser avec eux sur leurs terres.

Ces Léville, anciens amis des Montesparre, avaient leur château au pied de la montagne. C’est eux que nous avions rencontrés au-