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FLAMARANDE.

près de la Violette le jour funeste où, notre voiture de voyage s’étant brisée à l’entrée des gorges de la Jordanne, ils nous avaient ramenés dans leur calèche à Montesparre. Sans cette rencontre, nous allions coucher à Flamarande, et le terrible événement de la nuit du 15 août 1840 n’eût point eu lieu.

Comme Roger parlait de rester au moins trois jours absent et qu’il ne montrait plus avoir aucun souvenir de Flamarande, madame crut qu’elle pouvait profiter de son absence pour y faire une excursion. Mme de Montesparre l’y engageait et lui offrait son cheval de selle qui l’y porterait en deux heures par la traverse. Elle aussi avait fait bien des voyages mystérieux pour voir Salcède et son pupille dans les déserts du Cantal. La comtesse accepta et me pria naturellement de l’accompagner. On me donna le cheval du domestique de confiance qui accompagnait ordinairement la baronne. Nous voici donc, madame et moi, montés sur deux bons petits genêts de montagne, vifs, mais doux, et d’une solidité à toute épreuve, parcourant avec vitesse et confiance un pays terrible sur des sentiers de chèvre.

Partis à six heures du matin, nous étions au donjon à huit. Madame, sûre de la discrétion de Gaston, arrivait sans mystère et comme si elle venait se mettre au courant de ses affaires, car elle était, pour quelques mois encore, la tutrice de Roger et la véritable dame de Flamarande.

Elle arriva donc par la grande porte du manoir. Ambroise vint prendre nos chevaux. Espérance, qui travaillait dans sa chambre du donjon, vint à notre rencontre sans montrer d’autre empressement que celui d’un subalterne respectueux. Madame monta à l’appartement qu’elle occupait quatre jours auparavant, juste au-dessus de celui dont son fils avait repris possession. Les Michelin se hâtèrent de préparer un déjeuner que Charlotte et son fiancé servirent eux-mêmes à la dame. Tout se passa dans l’ordre voulu. Les Michelin furent admis à présenter leurs respects et leurs réclamations qui étaient insignifiantes et auxquelles madame fit droit gracieusement, mais sans paraître les favoriser. À midi, elle dit qu’elle était un peu lasse et voulait faire une sieste, mais elle exigeait qu’Espérance gardât son appartement et ses habitudes. Son voisinage ne la gênait nullement.

Elle s’enferma ; Gaston sortit. Je m’en allai faire les comptes de la ferme avec Michelin, bien certain que madame ne dormait pas et que, grâce au court trajet de l’espélunque, elle était au Refuge avec Gaston et Salcède, ou que ceux-ci étaient avec elle au donjon.

À cinq heures, madame me fit dire qu’elle désirait que je fusse dîner avec elle ; elle n’avait pas dormi, elle avait vu Salcède, elle avait longuement causé avec Gaston. Gaston se savait riche à mil-