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venir, madame avait répondu à Hélène. Mme de Montesparre, qui transmettait tout à Salcède, lui avait envoyé ou remis cette réponse, et l’amant, toujours passionné, toujours romanesque, avait pris pour devise, pour règle de conduite, pour consolation suprême, cette prière adressée à la baronne et dont il s’était fait l’application à lui-même : veille sur notre enfant !

Comment cette lettre avait-elle échappé à mon attention lorsque j’avais dépouillé le dossier ? Si elle avait passé par mes mains, comment n’avais-je pas été frappé de la coupure faite avec soin de la dernière ligne et de la signature ? C’est que j’avais fait cet examen sous le coup d’une émotion bien fondée et d’une grande fatigue physique, c’est que, peut-être au moment où je tenais cette lettre, quelque bruit au dehors et la crainte d’être surpris avaient fait défaillir mon attention.

Je restai interdit, et ne sachant plus où j’en étais de l’existence. Mon esprit se reportait à la terrible veillée du 27 mai 1850. Je ne voyais plus M. de Salcède, je me croyais seul. Le vent de la nuit semblait me jeter des rires moqueurs en vibrant sur les vitres et me dire : « Imbécile, tu t’es cru très fort, tu n’es qu’un sot ! »

M. de Salcède m’examinait, il lisait dans ma pensée. Il me tira de ma torpeur en me reprenant la lettre à Hélène, qu’il replaça dans le dossier en y joignant les mots coupés ; puis il me dit avec un sourire accablant : — Ceci vous prouve, monsieur Charles, que j’ai toujours été un insensé, pour ne pas dire un maladroit. Dans ma jeunesse, épris d’une femme adorable, je serais mort plutôt que de lui laisser soupçonner mon amour, et elle ne l’a pas soupçonné avant d’en connaître les funestes conséquences ; mais moi, la croyant partie, croyant que je ne la reverrais jamais, amoureux d’un souvenir, d’un parfum, j’entrais la nuit dans sa chambre pour y ramasser une fleur… Je faisais, par cette action romanesque, le malheur de toute sa vie ; plus tard, pensant avoir tout réparé en sacrifiant la mienne à son fils, je cachais dans mon sein trois mots de son écriture avec l’autre relique, le bouquet maculé par mon sang, et cet humble trésor devait m’être ravi par l’espion du mari et devenir une arme entre ses mains ! Vraiment, ajouta-t-il avec un rire amer, je n’ai pas de chance, comme on dit vulgairement, et c’est trop d’être deux fois si cruellement puni pour deux fautes qui ne m’ont rapporté que la honte d’être dépouillé par un lâche et le désespoir d’avoir fait le malheur d’une famille !

Il marcha dans la chambre, passant la main sur son front, comme s’il eût voulu arracher ses cheveux blanchis par la douleur ; puis tout à coup il s’arrêta, sourit et parut illuminé d’une joie soudaine.

— Mais non, dit-il, je blasphème, et il ne faut pas blasphémer de-