Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/759

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
755
FLAMARANDE.

vant les athées. Évidemment vous ne croyez qu’au mal, vous, malheureux serviteur avili d’une mauvaise cause ! Je vous plains, car, au point culminant d’une vie de sacrifice, ne voyant derrière moi que regrets ou tortures, et devant moi qu’une vie de labeur solitaire, je me sens plus que jamais soutenu par une force victorieuse. J’ai voulu réparer, j’ai réparé ! J’ai renoncé à tous les enivremens de la vie, à l’éclat de la fortune, aux ambitions de la jeunesse comme à celles de la virilité, au plaisir, à l’activité, à la gloire, au mariage, à l’amour ! Je me suis fait anachorète. J’ai servi obscurément la science, j’ai caché à celle que j’aimais la blessure incurable de mon âme pour ne pas ajouter à la sienne. J’ai retrouvé la joie intérieure de la conscience, j’ai été plus utile que si j’avais servi une cause politique ou secondé l’action des hommes actifs ce mon temps ; j’ai élevé l’enfant de l’homme injuste qui l’avait condamné aux ténèbres. Je l’ai fait vivre dans la lumière, j’en ai fait un homme de cœur, un homme de bien, un homme de savoir. Je l’ai rendu à sa mère et je le lui ai rendu digne d’elle. Non, je ne suis point à plaindre, je n’ai pas le droit de me croire malheureux. Si je n’ai pas été assez fort pour arracher de mon cœur un sentiment funeste, j’ai été du moins assez fort pour le taire, et il est resté en moi, grâce à Dieu, aussi pur que le premier jour. Est-ce de ce sentiment muet et respectueux qu’on m’accusera auprès des fils de M. de Flamarande ? L’un des deux, qui me connaît, répondra que mon silence honore sa mère ; l’autre sentira que je ne dois compte à personne des combats intérieurs dont j’ai su triompher. Allez donc, monsieur Charles, accusez-moi auprès de Roger d’avoir voulu introduire un étranger dans sa famille ; il ne le croira pas, à moins d’être corrompu avant l’âge. D’ailleurs je saurai me disculper. Pensez-vous que j’accepterai en silence une imputation calomnieuse ? Non ; je dirai tout, si on m’y oblige, je dirai tout parce que je peux tout dire et que je n’ai rien à dire qui ne proclame la raison, la moralité et la chasteté de sa mère. Voyons, parlez ! que voulez-vous faire ? Je vous sais à présent capable de tout, et je ne chercherai pas à empêcher votre initiative dangereuse ; mais je vous surveillerai, je m’attacherai à vos pas, j’entendrai toutes vos paroles. Je serai là pour les expliquer et pour en démasquer l’imposture. Répondez-moi donc ! Que prétendez-vous faire ? Ce n’est pas le courage qui vous manque pour agir, vous l’avez prouvé en venant ici, croyant y trouver un homme capable de tout aussi pour vous empêcher de le démasquer. présent c’est moi qui vous invite à continuer votre œuvre de trahison et de délation ; mais vous n’agirez plus dans l’ombre, je vous en avertis, et c’est face à face avec moi qu’il vous faut reprendre la lutte.