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réduira complètement au silence le fort Jackson, Porter continua le bombardement jusqu’au 23 au soir. Ses munitions étaient presque épuisées, et le feu de l’ennemi ne s’était pas sensiblement ralenti : une seule pièce du fort Saint-Philippe, la meilleure il est vrai, et quatre du fort Jackson avaient été démontées. En revanche, un des bateaux-mortiers avait été coulé par un boulet, qui l’avait traversé de part en part ; les fédéraux n’a aient d’ailleurs perdu que peu de monde, et leurs bateaux avaient parfaitement résisté aux secousses produites par le tir des pièces énormes qu’ils portaient.

Mais ils désespéraient de venir à bout des forts par un simple bombardement. Ils ne se doutaient pas des ravages que leurs projectiles avaient faits dans le fort Jackson. Il était tombé dans l’enceinte plus de huit mille bombes, au dire des confédérés : les casemates, malgré les sacs à terre dont on les avait couvertes, étaient à demi ruinées et menaçaient de s’écrouler ; le magasin à poudre n’était plus en sûreté : toutes les maçonneries étaient ébranlées. Enfin, chose plus grave encore, les bombes, en éclatant dans la digue qui retient le fleuve, l’avaient crevée en plusieurs places, et les eaux, fort hautes alors, avaient inondé une grande partie de l’ouvrage, rendant les abris blindés presque inhabitables et les communications entre les diverses batteries très difficiles. Si le terrain n’avait pas été aussi mou et si les bombes ne s’y étaient pas enfoncées très profondément, le fort aurait été détruit au bout de deux ou trois jours. Le général Duncan et ses deux lieutenans, les colonels Higgins et Mac-Intosh, soutenaient cependant par leur exemple le courage de leurs soldats. Les cinq ou six pièces de gros calibre qui seules pouvaient porter jusqu’à la station occupée par les navires fédéraux étaient toujours en action ; toutes les nuits, des brûlots descendaient le fleuve. Rien ne faisait donc prévoir la fin de la lutte : pour la terminer, Farragut se décida à risquer un coup d’audace et à forcer les passes sous le feu de l’artillerie ennemie.

C’était, au reste non pas une tentative inventée dans un moment d’embarras, mais bien un plan longuement mûri par cet esprit à la fois calculateur et hardi. Réunissant les deux plus grandes qualités de l’homme de guerre, concevant ses desseins avec calme, envisageant tous les dangers qu’ils pouvaient présenter, et les exécutant sans aucune hésitation, Farragut avait promis au gouvernement de Washington de prendre la Nouvelle-Orléans. Il avait annoncé avant de s’embarquer que, s’il le fallait, il irait avec ses bâtimens de bois se présenter devant les forts ennemis, qu’au lieu de les combattre à distance, il s’en approcherait à bout portant pour remplir de mitraille les embrasures de leurs casemates, et qu’en sacrifiant un ou deux de ses navires il assurerait le passage du reste de la flotte.