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devaient former une troisième source du droit irlandais. Quelque solution que l’on donne d’ailleurs aux questions concernant l’origine et le caractère des traités désignés maintenant par le nom de Brehon Laws, ils n’en conservent pas moins toute leur importance, comme indiquant les traditions, les usages et les idées juridiques de l’époque où ils ont été composés. La plupart des coutumes dont ils font mention étaient encore en vigueur au moment où les écrivains anglais commencent à nous faire connaître l’Irlande. « Les lords irlandais, dit sir John Davis écrivant vers la fin du XVIIe siècle, conservent tous les droits de la souveraineté qui ne devraient appartenir qu’au roi. Ils gouvernent le peuple conformément aux lois des brehons. Ils nomment leurs magistrats et les employés, ils punissent ou pardonnent les crimes, ils font la guerre et la paix à leur convenance, et cela a duré jusqu’au règne d’Elisabeth. » Le même auteur raconte que, quand le lord député sir W. Fitzwilliam annonça à Maguire qu’il enverrait un shérif à Fermanagh, le chef irlandais répondit : « Votre shérif sera le bienvenu, mais faites-moi savoir quel est le prix de sa tête, afin que, si mes hommes la lui coupent, je puisse lever l’eric (eric, composition), sur le pays. » Les auteurs anglais s’indignaient de ces coutumes barbares « qu’on ne rencontrait dans aucun autre pays chrétien ; » ils leur attribuaient même le triste état du pays, et pourtant ces lois et ces institutions n’étaient autres que celles que l’Angleterre avait eues autrefois.

En effet, l’ancien droit irlandais présente de frappantes analogies avec le droit romain primitif, avec le droit Scandinave, slave et germanique, et, chose très remarquable, mais cependant très explicable, avec les coutumes hindoues. Les deux rameaux de la race aryenne géographiquement les plus éloignés se rapprochent le plus par leurs idées juridiques, parce qu’elles ont mieux conservé les traditions primitives de la souche d’où ils sont sortis. Les peuples asservis par l’étranger restent fidèles à leurs coutumes, ils redoutent le changement ; leur sujétion même met obstacle au progrès, et dans leur malheur ils s’attachent avec fanatisme à tout ce qui caractérise leur nationalité. C’est ainsi que les Javanais, asservis par des conquérans mahométans, les Russes, tenus sous la domination des Tartares, et les Serbes sous celle des Turcs, pratiquent encore les formes archaïques de la propriété collective.

Je ne puis montrer ici tous les points de ressemblance que sir H. Maine a relevés entre les institutions anciennes des Celtes irlandais et celles de l’Inde ; il faudrait reproduire tout son livre : j’en citerai seulement un ou deux qui sont vraiment frappans.

Aujourd’hui, quand une personne est lésée, elle s’adresse au