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aussi ; mais il est bien affreux que ce soit le seul qu’il ne veuille pas exercer par représentant. » Et dans des pages vives, pressantes, indignées, où la poésie n’intervient que pour animer et enflammer la raison, il stigmatise « cette effrayante race de libellistes sans pudeur qui, sous des titres fastueux et des démonstrations convulsives d’amour pour le peuple et pour la patrie, cherchent à s’attirer la confiance populaire, — gens pour qui toute loi est onéreuse, tout frein insupportable, tout gouvernement odieux, — gens pour qui l’honnêteté est de tous les jougs le plus pénible, qui haïssent l’ancien régime, non parce qu’il était mauvais, mais parce que c’était un régime, — qui haïront le nouveau, qui les haïraient tous, quels qu’ils fussent… Que deviendra la France, si le peuple vient à croire que c’est là la liberté, à prendre en dégoût la liberté elle-même, à regretter l’antique joug sous lequel il rampait sans trouble ? » Vains discours ! Il ne se méprend pas sur l’incroyable préférence que la multitude aura toujours pour les flatteurs de ses passions : « Les uns lui montrent la douceur de vivre sans frein ; les autres lui présentent sans cesse le frein sévère de la raison, ce frein que nous recevons quelquefois, mais que nous mordons toujours. » Enfin, faisant un retour sur lui-même et ne se dissimulant rien des inimitiés qu’il va soulever, il s’en console, s’il peut ranimer dans quelques esprits l’image de la vraie liberté, du vrai patriotisme, obscurcie par la fausse liberté, par l’enthousiasme théâtral et factice. « J’avais résolu, dit-il, de ne point sortir de mon obscurité dans les conjonctures présentes, de ne point faire entendre ma voix inconnue au milieu de cette confusion de voix publiques et de cris particuliers ; j’ai pensé depuis que le sacrifice de ce amour-propre pouvait être utile, et que chaque citoyen devait se regarder comme obligé à cette espèce de contribution patriotique de ses idées pour le bien commun… J’ai de plus, ajoutait-il fièrement, goûté quelque joie à mériter l’estime des gens de bien en m’offrant à la haine et aux injures de cet amas de brouillons corrupteurs que j’ai démasqués. J’ai cru servir la liberté en la vengeant de leurs louanges. Si, comme je l’espère encore, ils succombent sous le poids de la raison, il sera honorable d’avoir, ne fût-ce qu’un peu, contribué à leur chute. S’ils triomphent, ce sont gens par qui il vaut mieux être pendu que loué. »

Ce qui donne à ces pages un caractère à part, un accent personnel, c’est qu’elles ne sont pas un cri de désespoir ou de protestation contre le nouvel ordre de choses. Elles ne viennent pas du côté où le parti royaliste s’assemble pour tenter ses derniers efforts par la discussion des principes ou par l’épigramme irritée. Elles ne sont pas un auxiliaire pour les Actes des apôtres ; André Chénier