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n’a rien de commun, ni dans ses craintes ni dans ses espérances, non plus que dans le tour de son esprit, avec Champcenetz ou Rivarol. Elles sont écrites et signées par un ami du nouveau régime, qui a de tout cœur applaudi aux premiers événemens de la révolution, au serment du jeu de paume, à la prise de la Bastille. On se rappelle ces strophes ardentes qui ne furent publiées qu’un peu plus tard, en 1791, mais qui portent sur leurs ailes les échos de ces premières heures enchantées avec les palpitations de ces enthousiasmes juvéniles :

…….. Tous amis, tous parens,
S’embrassant au hasard dans cette longue enceinte,
Tous jurant de périr ou vaincre les tyrans,
De ranimer la France éteinte,
De ne se point quitter que nous n’eussions des lois
Qui nous feraient libres et justes…
Tout un peuple, inondant jusqu’au faite des toits,
De larmes, de silence, ou de confuses voix,
Applaudissait ces voix augustes.
……….
L’enfer de la Bastille, à tous les vents jeté,
Vole, débris infâme et cendre inanimée,
Et de ces grands tombeaux, la belle Liberté,
Altière, étincelante, armée,
Sort[1]……….

Ces transports poétiques, cette joie profonde, expansive, avec laquelle André Chénier assiste aux premières scènes de la révolution, sont précisément un gage de sa sincérité quand il se jettera intrépidement en travers des voies fatales où il la voit s’engager, quand il lancera ce cri héroïque contre les malfaiteurs de la plume ou de la parole qui l’égarent ou la déshonorent. Le succès de l’Avis aux Français fut grand. Comme il arrive dans les temps de révolution, quand un honnête homme, à ses risques et périls, exprime tout haut une opinion courageuse, il a l’air d’être seul au moment où il parle. Mille voix lui répondent aussitôt, mille voix se reconnaissent dans cette voix unique qui a parlé ; le sentiment des honnêtes gens se sent délivré par un seul homme de cette contrainte du silence où il se réduisait par timidité, par défiance plutôt que par lâcheté, et pour un jour au moins les indignations comprimées, les mépris enchaînés se donnent libre carrière. L’opinion publique se fait un instant justicière et vengeresse. Si ces démonstrations avaient un lendemain, il se créerait certainement une raison générale qui triompherait sans trop de peine des minorités insolentes et oppressives. Pourquoi ce beau feu s’éteint-il si vite ? Pourquoi les honnêtes gens,

  1. Le Jeu de Paume, à Louis David, peintre.