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puiser que tous y ont apporté davantage. L’individu recevra ainsi de la société infiniment plus qu’il n’aura donné lui-même. De là une universelle sympathie, un universel empressement à se rendre service, un universel échange de toutes les joies : le plus haut intérêt est la plus haute fraternité.

Telle est l’évolution libérale que la philosophie utilitaire, après avoir pris d’abord la forme anarchique et despotique, ne pouvait manquer d’accomplir tôt ou tard : l’histoire de l’école anglaise contemporaine ne fait que développer à nos yeux ce que d’avance renfermait la logique intérieure du système. Économie politique, politique, « sociologie, » cosmologie même, les utilitaires ont appelé toutes les sciences à l’aide de la cause qu’ils soutiennent. Les économistes d’abord, depuis Adam Smith, ont pris plaisir à décrire l’idéale union des intérêts soumis à une loi de libre échange ; même dans les intérêts en apparence les plus opposés ils ont entrevu une harmonie qui, pour se produire, n’a besoin que de la liberté et du temps. Voulez-vous qu’une masse d’eau agitée reprenne son niveau, le mieux est de l’abandonner à la force de gravitation qui réside en chaque molécule ; plus vous agiteriez du dehors cette masse mouvante, plus vous retarderiez le moment du calme. Que le législateur se garde donc de porter une main maladroite sur les intérêts pour les régler du dehors, comme s’ils ne renfermaient pas en eux-mêmes une gravitation naturelle qui, tôt ou tard, suffît à les mettre en équilibre. Le vrai droit ne doit être que la garantie des conditions économiques propres à assurer le libre jeu des intérêts. Ainsi parle la science utilitaire par excellence, l’économie politique.

La politique aboutit aux mêmes conséquences, que Stuart Mill a développées dans celui de ses livres qu’il croyait le meilleur, la Liberté. Comme il s’applaudit lui-même, et avec raison, d’y avoir mis en lumière une vérité qu’on ne saurait trop rappeler dans un siècle où l’opinion générale, de plus en plus dominante, peut devenir tyrannique ! Cette vérité, c’est que la liberté individuelle est indispensable pour introduire la variété dans les idées et dans les caractères. Il appartenait à un Anglais de faire l’éloge d’une chose où d’autres verraient facilement un défaut, l’originalité. Le bonheur, loin d’avoir pour condition l’uniformité des pensées, des actions, des sentimens, exige la diversité entre les hommes : la nature n’est féconde que par la variété de ses créations, la société ne fait de progrès que par la variété des opinions et des mœurs : nouveauté, c’est déjà presque découverte.

M. Spencer à son tour, par des raisons empruntées non-seulement aux lois de la société humaine, mais à celles de l’univers, montre que l’uniformité tue, que la diversité vivifie. Le progrès, « allant de l’homogène à l’hétérogène, M exige des différences