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n’a jamais été un de ces « misérables flatteurs, » présent aussi funeste aux peuples qu’aux rois ; mais nous allons l’examiner sous un autre jour, et voir quelles ont été son attitude et son influence sur la politique extérieure de son pays.


III

Lord Russell n’a jamais appartenu à cette école qui voudrait isoler l’Angleterre politiquement comme la nature l’a isolée géographiquement. Il a toujours revendiqué pour son pays le droit de se mêler à toutes les questions qui agitent les nations, non-seulement en Europe, mais dans le monde entier. L’Angleterre a attaché son nom à une foule de traités, et elle ne peut se soustraire aux obligations de la grandeur. Avec lord Palmerston, il fut le dernier représentant d’une politique qui ne se prive jamais de l’intervention morale quand elle ne peut avoir recours à l’intervention directe, qui a l’œil ouvert partout, qui gronde quand elle ne peut frapper, qui conseille encore quand on n’écoute plus ses conseils, qui observe tout le mouvement des affaires humaines pour jeter au moment décisif son poids dans la balance des intérêts et des passions, qui s’attribue les victoires que d’autres ont remportées. Cette politique d’ordinaire ne fait que l’œuvre du chœur antique ; elle prévoit les catastrophes, elle jette sa note morale dans le drame, elle réprimande, elle gémit ; rendons pourtant cette justice à lord Russell que ce rôle seul ne lui convenait pas. Il était volontiers prêt à l’action : son humeur l’y poussait assez pour qu’il pût toujours se croire autorisé à y pousser les autres. En parlant de lord Palmerston, il dit : « Je n’avais point de raison de croire qu’il fût moins attaché que moi à l’honneur national, qu’il fût moins fier de toutes les victoires que notre nation a obtenues sur terre et sur mer, qu’il détestât l’accroissement de nos colonies, que ses mesures dussent tendre à réduire ce grand et glorieux empire à n’être qu’une manufacture de cotonnades et un marché d’objets à bas prix avec une armée et une marine réduites par de misérables économies à la faiblesse et à l’impuissance. » Ces fières paroles sont le trait du Parthe qu’il lance en quittant les affaires à son propre parti, énervé par les théories de l’école de M. Gladstone.

Le rôle actif de lord Russell dans la diplomatie anglaise ne commence qu’assez tard ; mais ses mémoires nous font connaître ses sentimens aux époques antérieures. Il remplit quelque temps le poste de secrétaire des colonies. Il raconte qu’un jour une personne appartenant au département des affaires étrangères de France vint lui faire visite et lui demanda ce que l’Angleterre voulait garder pour elle sur le continent australien : « Tout, » répondit-il. L’homme est