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gouvernement de sa majesté n’a pas le désir de prolonger la correspondance au sujet de la Pologne pour le simple plaisir de la controverse. Le gouvernement de sa majesté reçoit avec satisfaction l’assurance que l’empereur de Russie continue à être animé d’intentions pleines de bienveillance vis-à-vis de la Pologne et de conciliation vis-à-vis des puissances étrangères. »

D’où venait une complaisance si subite, si complète, si étrange pour l’Allemagne ? Faut-il le demander ? L’instinct gouverne les hommes autant que l’intelligence, et des pressentimens secrets montraient déjà à lord Russell la force qui devait abaisser la puissance française. La question polonaise avait servi à détacher la France de la Russie, la Pologne pouvait être oubliée ; l’ennemi véritable, l’ennemi dangereux, ce n’était pas la Russie, c’était l’allié, le voisin, celui à qui l’on ne pouvait pas faire de sermons, dont la tête roulait sans cesse des projets inconnus. Par plus d’un chemin, des mots mystérieux venaient de Berlin. La Russie et l’Autriche abaissées par les armes de la France, et l’Italie enchaînée par son alliance, il n’y avait plus d’autre puissance vierge que la Prusse.

Dans les duchés danois, aussi bien qu’en Pologne, en Italie, la diplomatie se trouvait comme étranglée entre les traités d’une part et de l’autre des aspirations nationales devenues presque irrésistibles. On voit au vieux château de Cobourg la figure dorée qui ornait la proue d’un navire danois pris dans les premières luttes qui suivirent la révolution de 1848. L’Allemagne parlait déjà alors de délivrer ses frères opprimés ; elle voulait surtout se délivrer elle-même, déchirer les liens dans lesquels son ambition restait impuissante. Lord Russell, dans cette fatigante question des duchés, débute naturellement comme le défenseur attitré du traité de Londres. Sa correspondance est correcte, pragmatique, pour employer le mot de M. Disraeli ; il prêche la patience au Danemark, la modération à l’Allemagne. Il ne reconnaît pas la théorie allemande de l’union des deux duchés, qui avait été repoussée par les puissances en 1852. « La Prusse, écrivait-il le 6 janvier 1862, consentirait-elle à ce que son budget militaire fût soumis à une assemblée composée exclusivement de représentans de Posen ? Supposons que le Danemark fût sous le coup de quelque danger extérieur, serait-il conforme à l’intérêt de la nation de convoquer quatre assemblées diverses afin d’obtenir des subsides pour l’armée et la marine ? » À ce moment, les Allemands demandaient qu’il y eût quatre assemblées législatives indépendantes pour le Holstein, le Slesvig, le Lauenbourg, le Jutland et les îles, qui eussent une influence égale sur les intérêts généraux. Quelques mois après, lord John Russell accompagna sa souveraine à Cobourg ; il en revint avec des idées nouvelles. Il se laissa convaincre que le gouvernement danois était très