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nouveau, le mouvement s’empare des mises en scène, un soupçon de clair-obscur commence à poindre sur les palettes, les nudités apparaissent dans un art jusque-là fort vêtu et tout costumé d’après les modes locales ; la taille des personnages grandit, leur nombre augmente, les groupes s’épaississent, les tableaux s’encombrent, la fantaisie se mêle aux mythes, un pittoresque effréné se combine avec l’histoire ; c’est le moment des jugemens derniers, des conceptions sataniques, apocalyptiques, des diableries grimaçantes. L’imagination du nord s’en donne à cœur joie, et se livre, dans le cocasse ou dans le terrible, à des extravagances dont le goût italien ne se doutait pas.

D’abord rien de tout cela ne dérange le fonds méthodique et tenace du génie flamand. L’exécution reste précise, aiguë, minutieuse et cristalline ; la main se souvient d’avoir, il n’y a pas très longtemps, manié des matières polies et denses, d’avoir ciselé des cuivres, émaillé des ors, fondu et coloré le verre, Puis graduellement le métier s’altère, le coloris se décompose, le ton se divise en lumières et en ombres, il s’irise, conserve sa substance dans les plis des étoffes, s’évapore et blanchit à chaque saillie. La peinture en devient moins solide et la couleur moins consistante, à mesure qu’elle perd les conditions de force et d’éclat qui lui venaient de son unité. C’est la méthode florentine qui commence à désorganiser la riche et homogène palette flamande. Une fois ce premier ravage bien constaté, le mal fait des progrès rapides. Malgré la docilité qu’il apporte à suivre l’enseignement italien pas à pas, l’esprit flamand n’est pas assez souple pour se plier tout entier à des leçons pareilles. Il en prend ce qu’il peut, pas le meilleur ; toujours quelque chose lui échappe : ou c’est la pratique quand il croit saisir le style, ou c’est le style quand il parvient à se rapprocher des méthodes. Après Florence, c’est Rome qui le domine, et en même temps c’est Venise. A Venise, les influences sont singulières, On s’aperçoit à peine que les peintres flamands aient étudié les Bellin, Giorgion, ni Titien. Tintoret au contraire les a frappés visiblement. Ils trouvent en lui un grandiose, un mouvement, des musculatures qui les tentent et je ne sais quel coloris de transition d’où se dégagera celui de Véronèse, et qui leur semble le meilleur à consulter pour découvrir les élémens du leur. Ils lui empruntent deux ou trois tons, son jaune surtout, avec la manière de les accompagner. Chose à remarquer, il y a dans ces imitations décousues non-seulement beaucoup d’incohérences, mais des anachronismes frappans. Ils adoptent de plus en plus la mode italienne, et cependant ils la portent mal. Une inconséquence, un détail mal assorti, une combinaison bizarre de deux manières qui ne vont point ensemble continuent de manifester les côtés rebelles de ces natures d’écoliers