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d’Arolles avaient tous fait quelque chose ; ils avaient de l’étoffe et de l’ambition, ils s’étaient distingués, les uns dans l’armée, d’autres dans la politique ou dans les ambassades, quelques-uns dans les lettres. Ils avaient de plus l’habitude de régler les avenirs comme un papier de musique. A peine Maurice eut-il douze ans, il fut décidé qu’il entrera it à l’École polytechnique, qu’il en sortirait brillamment, et que cinq ans plus tard il épouserait sa cousine germaine, Mlle Simone Saint-Maur, fille d’un brave colonel retraité, qui avait une jambe de bois et une tête de fer. Le jour où Simone avait été baptisée, on s’était amusé à la fiancer à son cousin, et cette plaisanterie avait été prise au sérieux par le colonel, qui ne riait pas toutes les semaines. On l’entendait quelquefois s’écrier : « Qu’on donne le fouet à cette vicomtesse d’Arolles, si elle ne veut pas apprendre ses lettres ! » Il n’importait guère à Maurice ; ce qui le chagrinait davantage, c’est qu’on prétendît l’obliger à prendre un état, quand il n’avait aucune vocation et qu’il était assuré d’avoir assez de rentes pour pouvoir vivre à sa fantaisie sans rien faire. Il avait une ouverture d’esprit, une facilité étonnante pour tout genre d’étude ; malheureusement il n’avait de goût prononcé pour rien. La géométrie, l’algèbre, comme les langues, il apprenait tout en se jouant ; mais il se disait : A quoi bon ? Il en résulta que, lorsqu’il passa ses examens pour entrer à l’École polytechnique, il eut soin de les manquer, et voilà ce qui me faisait dire qu’il avait pris ses mesures pour ne pas servir Bonaparte. Cela ne l’empêchait pas de rechercher avec une sorte de passion la société du studieux Séverin Maubourg ; il admirait sa discipline, et la discipline de Séverin trouvait un charme particulier dans le nonchaloir du vicomte d’Arolles. Le fort-en-thème et le cancre s’adoraient.

La différence de leurs caractères était l’œuvre des circonstances autant que de la nature. Séverin Maubourg avait été conduit, surveillé, stimulé par son père, homme de cœur, d’énergie et architecte de grand talent, dont les commencemens avaient été rudes. Après avoir eu de la peine à percer, il était en passe de faire fortune. Il répétait volontiers avec un poète grec « qu’il ne faut pas se fâcher contre les choses parce qu’elles n’en ont cure, » et il citait aussi le mot de Virgile : Labor improbus omnia vincit. Il s’était appliqué à faire entrer ce grec et ce latin dans la tête de son fils, dont la bonne foi égalait la bonne volonté. Séverin écoutait les sentences paternelles comme des oracles, et il avait acquis de bonne heure la conviction que ce qu’il y a de mieux à faire en ce monde, c’est d’y bâtir des maisons et de travailler d’arrache-pied, sans se fâcher contre les choses. Au reste, il n’avait eu dans son enfance aucun sujet de se fâcher ; choyé par sa mère, il avait à discrétion