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que celles des Aides. Dans une armoire voisine, pleine de curieux et rares ouvrages du XVIe siècle en allemand et en latin, nous découvrons les controverses protestantes, Agrippa, Mélanchthon, Luther ; le premier volume qui nous tombe sous la main est l’édition du Nouveau-Testament donnée par Érasme, avec l’exergue menaçant au frontispice : scrutamini scripturas. Témoin bizarre de la destinée des livres, ce petit volume, sonnant le cri de guerre du docteur saxon, le cri d’éveil de la réforme, qui a mis le feu à l’Europe et vient mourir sur ce rayon, dans la poudre byzantine, dans la bienheureuse quiétude de ces esprits qui n’ont jamais rien scruté et dont il ne troublera pas l’immuable repos.


III

Essayons pourtant de secouer leur torpeur, de pénétrer dans leur conscience et dans leur vie. Quel que soit l’intérêt du cadre archaïque auquel ils ont imprimé leur physionomie, il pâlit devant celui des personnages. Cette famille, constituée en dehors de toutes les lois humaines, nous doit sa raison d’être historique et sociale ; si ses représentans actuels sont impuissans à nous la donner, ils nous apprendront du moins par ce qui leur reste et ce qui leur manque quel fut le principe de vie de ses fondateurs : avec les linéamens de ces physionomies effacées, nous pourrons recomposer les figures plus énergiques du passé. Nous n’oublierons pas, en interrogeant les bons moines sur leur valeur morale et intellectuelle, une indulgence que tout nous commande, — le souvenir de leur hospitalité empressée, la séduction personnelle de tous ces vieillards affables et sourians dont nous avons serré la main. Cette étude sera d’autant plus à l’aise qu’elle n’a rien à démêler avec les individus, puisqu’il n’y a pas aujourd’hui une seule individualité marquante dans l’état monastique : elle porte sur l’ensemble d’une société qui relève, comme toute autre, de la critique historique ; elle gardera ainsi toute sa liberté, certaine d’ailleurs que ces pages ne franchiront jamais les barrières qui séparent la pieuse solitude de tout commerce européen.

Ce n’est pas chose aisée que de « faire causer » les moines. Leur défiance innée à l’égard des voyageurs, qu’ils regardent comme des émissaires politiques ou des larrons de manuscrits, leur ignorance absolue des langues européennes, sont de sérieux empêchemens ; le plus réel est dans l’extrême pauvreté de leur esprit. Nous avons dit comment la conversation s’engageait, à l’arrivée au parloir et en dégustant le café, sur un thème banal. Quand, après avoir épuisé la curiosité enfantine de nos hôtes, nous voulons à notre tour les