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pour nos expositions ; à Karyès et Iviron, on tire quelques épreuves de grossières xylographies, retraçant les légendes des couvens, on enlumine sur papier des Panagia qu’on revêt d’un gaufrage d’or. — Là se borne le bagage des héritiers du très doux et très puissant Manuel Pansélinos.

Achevons cette revue des trésors de l’Athos en rappelant que d’inestimables bibliothèques les complètent. Longtemps inexplorées, elles ont vu s’envoler bien des feuilles précieuses ; leurs propriétaires les vendaient au poids aux Turcs de Salonique, qui en faisaient des gargousses ; les vieux voyageurs rapportent que les moines pêcheurs se servaient des feuillets de garde des manuscrits pour disposer des appâts à leurs lignes. Depuis trente ans, ces dépôts se sont ouverts à la science européenne, qui a triomphé de la défiance et de l’ignorance de leurs gardiens. Grâce aux recherches de MM. Mynoïde Minas, Langlois, Sébastianof, grâce aux excellens catalogues de M. Miller, les bibliothèques des monastères, comme les archives où dorment les chrysobulles des empereurs, ont livré leurs secrets. On a compté dans les vingt couvens de 8,000 à 10,000 manuscrits datant du Xe au XVIe siècle. Les plus anciens sont sans exception des copies des Évangiles et des psaumes : tous les caractères orientaux y sont représentés, grec, russe, cyrillique, géorgien, arménien, arabe, etc. Il y avait à Zographo une bible en caractères glagolitiques, actuellement à Saint-Pétersbourg. Les manuscrits du Xe et même du IXe siècle, reconnaissables à leur calligraphie magistrale, sont assez fréquens. Quelques-uns lont ornés de miniatures intéressantes pour l’étude des anciens costumes, et dont le style reproduit les qualités et les défauts de la peinture byzantine. Le plus souvent les quatre évangélistes figurent seuls aux en-têtes, flanqués de leurs attributs, écrivant à la lumière d’une lanterne en potence. Les manuscrits moins anciens contiennent les œuvres des pères grecs, les chroniques byzantines. — On avait espéré longtemps que ces bibliothèques nous rendraient des fragmens classiques ; sauf la géographie de Ptolémée, à Vatopédi, publiée par M. Langlois, elles n’ont livré que des copies relativement récentes des auteurs païens. On retrouve plutôt ces derniers dans des impressions vénitiennes du XVIe siècle : voyageurs fatigués, Homère et Sophocle reviennent, sous un habit emprunté à la charité étrangère, dormir au sein des leurs d’un sommeil qui ne sera pas dérangé. — C’est à Xéropotamo que nous avons rencontré la plus précieuse et la plus piquante collection de ce genre : très certainement un des doctes fugitifs que l’invasion musulmane chassa en Italie, et qui apportèrent à sa jeune renaissance les richesses de l’héritage grec, est revenu finir ses jours dans ce couvent, lui léguant avec sa bibliothèque la grande conquête de l’Occident : il avait ramené de bien autres nouveautés