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comprendre les questions vitales de la politique, pour émettre un vote en connaissance de cause, il faut une culture morale et un développement intellectuel que quelques années passées à l’école paroissiale, entre huit et quatorze ans, sont incapables de donner. Il est nécessaire d’avoir étudié l’histoire de son pays, d’en connaître la nature, les aptitudes, les besoins, les mœurs, d’être initié aux grandes lois qui régissent le développement des sociétés humaines et par-dessus tout d’aimer sa patrie. Pénétré de ces idées, Grundtvig prend en haine les lycées danois, où, comme en France ou en Angleterre, les langues classiques forment la base de l’enseignement. S’il pardonnait volontiers au grec, qu’il connaissait bien et dont il ne pouvait s’empêcher d’admirer les beautés, la « latinerie » l’exaspérait. Dans un certain pamphlet qui vise a l’académie de Soro, » qui réalise en Danemark le type d’un collège français, il ne tarit pas d’invectives contre la contagion latine qui corrompt les Scandinaves, contre l’esprit latin qui étouffe l’esprit du Nord, et il menace de détrôner Horace et Virgile pour mettre sur le pavois à leur place les Semund, les Snorri, toute la pléiade des anciens compilateurs des Sagas et des Eddas. Oubliant que la civilisation de l’Europe moderne, du Danemark comme des autres contrées, est d’origine romaine, que depuis l’art de fabriquer le bronze les Scandinaves n’ont rien appris que par le contact des hommes du sud, il veut rompre les liens qui rattachent son pays à la culture latine. Il lui semble qu’au lieu d’offrir pour modèles à la jeunesse les grands hommes de Borne et d’Athènes, il faut chercher des exemples dans l’histoire et la légende autochthones, et proposer à l’admiration les hauts faits des héros du Nord, En un mot, aux collèges latins il s’agit de substituer des écoles nationales, où l’on reçoive non plus un enseignement mort, fondé sur une civilisation étrangère et morte, mais une instruction vivante, conforme aux idées et aux besoins de notre temps, et par-dessus tout patriotique. Enfin, au-dessus de tout cela, Grundtvig rêvait d’édifier un jour sur les ruines des universités actuelles une vaste université Scandinave, immense officine de science où trois cents professeurs enseigneraient en même temps, créée et entretenue aux frais des trois « royaumes frères » pour la diffusion de la haute culture intellectuelle. Ce rêve brillant, il le caressait avec amour, tout en prodiguant les sarcasmes à l’université de Copenhague, à ses méthodes surannées, ses habitudes scolastiques, son pédantisme latin, son pathos allemand, — tant l’ancien étudiant en théologie, entraîné par la passion, était ingrat envers l’alma mater qui l’avait nourri plusieurs années dans son sein. Tandis que ce vaste projet n’était qu’un château en Espagne et n’eut jamais le moindre commencement d’exécution, des écoles grundtvigiennes d’ordre plus modeste