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vastes entreprises de l’esprit et de la main, aux tableaux d’église, aux tableaux décoratifs, aux grands tableaux. Jamais pays ne plaça ses artistes dans une alternative aussi singulière et ne les contraignit plus expressément à être des hommes originaux sous peine de ne pas être.

Le problème était celui-ci : étant donné un peuple de bourgeois, pratique, aussi peu rêveur, fort occupé, aucunement mystique, d’esprit anti-latin, avec des traditions rompues, un culte sans images, des habitudes parcimonieuses, — trouver un art qui lui plût, dont il saisit la convenance et qui le représentât. Un écrivain de notre temps, très éclairé en ces matières, a fort spirituellement répondu qu’un pareil peuple n’avait plus qu’à se proposer une chose très simple et très hardie, la seule au reste qui depuis cinquante ans lui eût constamment réussi : exiger qu’on fit son portrait.

Le mot dit tout. La peinture hollandaise, on s’en aperçut bien vite, ne fut et ne pouvait être que le portrait de la Hollande, son image extérieure, fidèle, exacte, complète, ressemblante, sans nul embellissement. Le portrait des hommes et des lieux, des habitudes bourgeoises, des places, des rues, des campagnes, de la mer et du ciel, tel devait être, réduit à ses élémens primitifs, le programmer suivi par l’école hollandaise, et tel il fut depuis le premier jour jusqu’à son déclin. En apparence, rien n’était plus simple que la découverte de cet art terre à terre ; depuis qu’on s’exerçait à peindre, on n’avait rien imaginé qui fût aussi vaste et plus nouveau.

D’un seul coup, tout est changé dans la manière de concevoir, de voir et de rendre : point de vue idéal, poétique, choix dans les études, style et méthode. La peinture italienne en ses plus beaux momens, la peinture flamande en ses plus nobles efforts, ne sont pas lettre close, car on les goûtait encore, mais elles sont lettre morte, parce qu’on ne les consultera plus. Il existait une habitude de penser hautement, grandement, un art qui consistait à faire choix des choses, à les embellir, à les rectifier, qui vivait dans l’absolu plutôt que dans le relatif, apercevait la nature comme elle est, mais se plaisait à la montrer comme elle n’est pas. Tout se rapportait plus ou moins à la personne humaine, en dépendait, s’y subordonnait et se calquait sur elle, parce qu’en effet certaines lois de proportions et certains attributs, comme la grâce, la force, la noblesse, la beauté, savamment étudiés chez l’homme et réduits en corps de doctrines, s’appliquaient aussi à ce qui n’était pas l’homme. Il en résultait une sorte d’universelle humanité ou d’univers humanisé, dont le corps humain, dans ses proportions idéales, était le prototype. Histoire, visions, croyances, dogmes, mythes, symboles, emblèmes, la forme humaine presque seule exprimait tout ce qui