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peut être exprimé par elle. La nature existait vaguement autour de ce personnage absorbant. A peine la considérait-on comme un cadre qui devait diminuer et disparaître de lui-même dès que l’homme y prenait place. Tout était élimination et synthèse. Comme il fallait que chaque objet empruntât sa forme plastique an même idéal, rien ne dérogeait. Or, en vertu de ces lois du style historique, il est convenu que les plans se réduisent, les horizons s’abrègent, les arbres se résument, que le ciel doit être moins changeant, l’atmosphère plus limpide et plus égale et l’homme plus semblable à lui-même, plus souvent nu qu’habillé, plus habituellement accompli de stature, beau de visage, afin d’être plus souverain dans le rôle qu’on lui fait jouer.

A l’heure qu’il est, le thème est plus simple. Il s’agit de rendre à chaque chose son intérêt, de remettre l’homme à sa place et au besoin de se passer de lui. Le moment est venu de penser moins, de viser moins haut, de regarder de plus près, d’observer mieux et de peindre aussi bien, mais autrement. C’est la peinture de la foule, du citoyen, de l’homme de travail, du parvenu et de premier venu, entièrement faite pour lui, faite de lui. Il s’agit de devenir humble pour les choses humbles, petit pour les petites choses, subtil pour les choses subtiles, de les accueillir toutes sans omission ni dédain, d’entrer familièrement dans leur intimité, affectueusement dans leur manière d’être ; c’est affaire de sympathie, de curiosité attentive et de patience. Désormais le génie consistera à ne rien préjuger, à ne pas savoir qu’on sait, à se laisser surprendre par son modèle, à ne demander qu’à lui comment il veut qu’on le représente. Quant à embellir, jamais, à ennoblir, jamais, à châtier, jamais ; autant de mensonges ou de peine inutile. N’y a-t-il pas dans tout artiste digne de ce nom un je ne sais quoi qui se charge de ce soin naturellement et sans effort ?

Même en ne dépassant pas les bornes des sept provinces, le champ des observations n’aura pas de limites. Qui dit un coin de terre septentrionale avec des eaux, des bois, des horizons maritimes, dit par le fait un univers en abrégé. Dans ses rapports avec les goûts, les instincts de ceux qui observent, le plus petit pays scrupuleusement étudié dévient un répertoire inépuisable, aussi fourmillant que la vie, aussi fertile en sensations que le cœur de l’homme est fertile en manières de sentir ; L’école hollandaise peut croître et travailler pendant un siècle ; la Hollande aura de quoi fournir à l’infatigable curiosité de ses peintres, tant que leur amour pour elle ne s’éteindra pas. Il y a là, sans sortir des pâturages et des polders, de quoi fixer tous les penchans. Il y a des choses faites pour les délicats et aussi pour les grossiers, pour les mélancoliques, pour les ardens, pour ceux qui aiment à rire, pour ceux qui aiment à