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très singuliers de cette première entrevue. Le régent l’avait prise à part, et, sachant ses dispositions défiantes, lui avait dit : « Eh bien ! cela ne va donc pas ? » La princesse avait répondu avec sa vivacité : « Je ne dis pas cela du tout, sa manière d’être me plaît fort. » Alors, sans plus de façon, le régent leur avait mis les mains l’une dans l’autre, de telle sorte qu’elle était fiancée. Elle ajoutait à ce récit, comme pour se consoler d’avoir été engagée si brusquement :, Le prince d’Orange n’a pas l’air aussi désagréable que je l’aurais cru. »

Voilà, il faut en convenir, une affaire bien lestement enlevée, surtout si l’on songe au peu d’empressement de la princesse et à son désir d’étudier l’affaire en conscience. Il semble que le régent, étonné lui-même d’un résultat si prompt, ait craint de voir son succès lui échapper. Les notifications officielles eurent lieu presque immédiatement. Dès le mois de janvier 1814, le projet de mariage entre la princesse Charlotte et le prince d’Orange fut annoncé aux souverains de l’Europe par lettres confidentielles. On trouve tous les détails relatifs à ce sujet dans la correspondance de lord Castlereagh. La demande solennelle de la main de la princesse eut lieu au mois de mars ; elle fut faite par M. Fagel, ministre de Hollande à Londres, et par le comte Van der Duyn de Maasdam, envoyé extraordinaire de la cour de La Haye. La princesse ayant donné son consentement, le roi de Hollande, peu de temps après, communiqua la nouvelle aux états-généraux du royaume. En même temps, les ambassadeurs hollandais, M. Fagel et M. Van der Duyn, préparaient la rédaction du contrat L’affaire était donc comme terminée, il ne restait plus à régler que des points de détail et des questions de forme. Quel fut l’étonnement du public, en Angleterre et en Hollande, lorsqu’on apprit au mois de juin suivant que tout était rompu !

Cette singulière aventure, qui fut jugée alors bien diversement et souvent d’une manière fort inexacte, est le premier point sur lequel les souvenirs de Stockmar nous fournissent des renseignemens nouveaux d’une valeur tout à fait authentique. Stockmar, appelé en Angleterre deux années après les événemens que nous racontons, avait eu bien des fois l’occasion d’en parler avec la princesse Charlotte, il avait reçu ses confidences, il avait eu entre les mains la correspondance échangée entre elle et son père ; on peut s’en fier à son témoignage pour redresser bien des erreurs. Les personnes qui avaient accrédité ces erreurs n’avaient vu les choses que du dehors ; Stockmar, initié à tous les secrets, a suivi de jour en jour les péripéties de l’imbroglio.

Il n’est pas inutile de constater tout d’abord que la princesse Charlotte, malgré l’impression favorable de la première heure, n’avait pas tardé à concevoir une idée bien différente de son fiancé. Le prince d’Orange, à son arrivée à Londres, avait été précédé par