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une réputation qui lui attirait les sympathies. Il avait même, dans un séjour antérieur, laissé de bons souvenirs à la société anglaise. Son père, avant de régner en Hollande sous le nom de Guillaume Ier avait habité assez longtemps l’Angleterre. Lui-même, par son éducation et sa manière d’être, s’était assimilé, disait-on, quelques traits du caractère britannique. Il avait servi en Espagne sous Wellington ; brave au feu, bon camarade, sans nulle morgue princière, toujours en joie et prodiguant les poignées de main, il s’était acquis une certaine popularité dans l’armée. Ces choses-là, répétées de bouche en bouche et considérées à distance, produisent toujours de l’effet. Il est probable que la princesse Charlotte ne les ignorait pas lorsqu’elle déclara, dès la première entrevue, que le prince ne lui déplaisait nullement. Examiné de plus près, le joyeux officier de l’armée de Wellington devait perdre beaucoup de ses avantages. Nous avons à ce propos des témoignages de provenance bien diverse qui s’accordent sur tous les points essentiels. Un écrivain hollandais, M. Grovestins, l’éditeur des Souvenirs du comte Van der Duyn, consacre au prince d’Orange une note de son livre qui se termine par ces mots : « il n’y avait dans cette pauvre tête ni instruction, ni idée arrêtée sur quoi que ce fût. » Un personnage très célèbre en Allemagne, M. Frédéric de Gagern, esprit naturellement porté à la bienveillance, ayant rencontré le prince quelques années plus tard, le peint sous les mêmes traits ; il le montre bizarre, fantasque, ambitieux à tort et à travers, sans scrupule dans l’emploi des moyens qu’il croit utiles à ses visées, sans discernement dans le choix de ses conseillers intimes, affamé de popularité, distribuant à tout propos des saluts, des sourires, des poignées de main, séduisant d’abord ceux-là même qui sont le plus prévenus contre lui, mais les éloignant bientôt par la banalité de ces démonstrations et laissant à tous l’idée d’un pauvre comédien. Ce que les Anglais appellent respectability lui faisait absolument défaut. La princesse Charlotte fut bien souvent choquée du sans-façon de ses allures. À la date du 9 mars 1814, c’est-à-dire au moment où le prince était admis à faire sa cour à l’héritière présomptive du trône d’Angleterre, lord Grenville écrivait au marquis de Buckingham : « Notre futur beau-fils loge chez son tailleur[1]. » La princesse n’ignorait pas ce détail ; elle savait aussi qu’on l’avait vu revenir des courses assis sur le siège du cocher dans un état voisin de l’ivresse. Deux années après, racontant à Stockmar ces incartades de son fiancé, elle lui dira : « Le prince d’Orange peut être fait pour commander un régiment de cavalerie, ce n’est point l’époux qui me convenait ; il n’a rien d’un prince. »

  1. Voyez Buckingham, Memoirs of the court of the Regency, t. II, p. 75.