Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/632

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

travail de ces parties violemment observées arrivent à rendre la nature telle qu’elle est vraiment, dans son relief, ses nuances, sa puissance, presque jusque dans ses mystères. Il n’est pas possible de viser un but plus circonscrit, mais plus formel, et de l’atteindre avec plus de succès. On dit le Taureau de Paul Potter, ce n’est point assez, je vous l’affirme : on pourrait dire le taureau, et ce serait à mon sens le plus grand éloge qu’on pût faire de cette œuvre médiocre en ses parties faibles, et cependant si décisive.

Presque tous les tableaux de Paul Potter en sont là. Dans la plupart, il s’est proposé d’étudier quelque accident physionomique de la nature ou quelque partie nouvelle de son art, et vous pouvez être certain qu’il est arrivé ce jour-là à savoir et à rendre instantanément ce qu’il apprenait. La Prairie du Louvre, dont le morceau principal, le bœuf gris-roux, est la reproduction d’une étude qui devait lui servir bien des fois, est de même un tableau faible ou un tableau très fort, suivant qu’on le prend pour la page d’un maître ou pour le magnifique exercice d’un écolier. La Prairie avec bestiaux du musée de La Haye, les Bergers et leur troupeau, l’Orphée charmant les animaux, du musée d’Amsterdam, sont, chacun dans son genre, une occasion d’études, un prétexte à études, et non pas, comme on serait tenté de le croire, une de ces conceptions où l’imagination joue le moindre rôle. Ce sont des animaux examinés de près, groupés sans beaucoup d’art, dessinés en des attitudes simples ou dans des raccourcis difficiles, jamais dans un effet bien compliqué ni bien piquant. Le travail est maigre, hésitant, quelquefois pénible. La touche est un peu enfantine. L’œil de Paul Potter, d’une exactitude singulière et d’une pénétration que rien ne fatigue, détaille, scrute, exprime à l’excès, ne se noie jamais, mais ne s’arrête jamais. Paul Potter ignore l’art des sacrifices, il en est encore à ne pas savoir qu’il faut quelquefois sous-entendre et résumer. Vous connaissez l’insistance de sa brosse et la broderie désespérante dont il se sert pour rendre les feuillages compactes et l’herbe drue des prairies. Son talent de peintre est sorti de son talent de graveur. Jusqu’à la fin de sa vie, dans ses œuvres les plus parfaites, il n’a pas cessé de peindre comme on burine. L’outil devient plus souple, se prête à d’autres emplois ; sous la peinture la plus épaisse on continue de sentir la pointe fine, l’entaille aiguë, le trait mordant. Ce n’est que graduellement avec des efforts, et par une éducation successive et toute personnelle, qu’il arrive à manier sa palette comme tout le monde : dès qu’il y parvient, il est supérieur.

On peut, en choisissant quelques-uns de ses tableaux dans les dates comprises entre 1647 et 1652, suivre le mouvement de son esprit, le sens de ses études, la nature de ses recherches, et,