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à une heure dite, la préoccupation presque exclusive dans laquelle il se plongeait. On verrait ainsi le peintre se dégager peu à peu du dessinateur, la couleur se déterminer, la palette prendre une organisation plus savante, enfin le clair-obscur y naître de lui-même et comme une découverte dont cet innocent esprit ne serait redevable à personne. Cette nombreuse ménagerie réunie autour d’un charmeur en pourpoint et en bottes, qui joue du luth et qu’on appelle Orphée, est l’ingénieux effort d’un jeune homme étranger à tous les secrets de son école, et qui étudie sur des pelages de bêtes les effets variés de la demi-teinte. C’est faible et savant ; l’observation est juste, le faire timide, la visée charmante. Dans la Prairie avec bestiaux, le résultat est encore meilleur ; l’enveloppe est excellente, le métier seul a persisté dans son enfantine égalité. La Vache qui se mire est une étude de lumière, de pleine lumière, faite vers le milieu d’un beau jour d’été. C’est un tableau fort célèbre et, vous pouvez m’en croire, extrêmement faible, décousu, compliqué, d’une lumière jaunâtre, qui, pour être étudié avec une patience inouïe, n’en a ni plus d’intérêt ni plus de vérité, plein d’incertitude en son effet, d’une application qui trahit la peine. J’omettrais ce devoir de classe, un des moins réussis qu’il ait traités, si, même en cet infructueux effort, on ne reconnaissait l’admirable sincérité d’un esprit qui cherche, ne sait pas tout, veut tout savoir, et s’acharne d’autant plus que les jours lui sont comptés.

En revanche, sans m’écarter du Louvre et des Pays-Bas, je vous citerais deux tableaux de Paul Potter qui sont d’un peintre consommé et qui décidément aussi sont des œuvres dans la plus haute et dans la plus rare acception du mot ; — et, chose remarquable, l’un est de 1647, l’année même où il signa le Taureau. Je veux parler de la Petite auberge du Louvre, catalogué sous ce titre : Chevaux à la porte d’une chaumière (n° 399). C’est un effet de soir. Deux chevaux dételés, mais harnachés, sont arrêtés devant une auge ; l’un est bai, l’autre blanc ; le blanc est exténué. Le charretier vient de puiser de l’eau à la rivière ; il remonte la berge un bras en l’air, de l’autre tenant un seau, et se détache en silhouette douce sur un ciel où le soleil couché envoie des lueurs. C’est unique par le sentiment, par le dessin, par le mystère de l’effet, par la beauté du ton, par la délicieuse et spirituelle intimité du travail. L’autre de 1653, l’année qui précéda la mort de Paul Potter, est un merveilleux chef-d’œuvre à tous les points de vue : arrangement, taches pittoresques, savoir acquis, naïveté persistante, fermeté du dessin, force dans le travail, netteté de l’œil, charme de la main. La galerie d’Arenberg, qui possède cet inestimable bijou, ne contient rien de plus précieux. Ces deux morceaux incomparables prouveraient, à ne regarder qu’eux, ce que Paul Potter entendait faire, ce