Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/247

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


SOUVENIRS D’ENFANCE

LE BROYEUR DE LIN.


I.

Tréguier, ma ville natale, est un ancien monastère fondé dans les dernières années du ve siècle par saint Tudwal ou Tuai, un des chefs religieux de ces grandes émigrations qui portèrent dans la péninsule armoricaine le nom, la race et les institutions religieuses de l’île de Bretagne. Une forte couleur monacale était le trait dominant de ce christianisme britannique. Il n’y avait pas d’évêques, au moins parmi les émigrés. Leur premier soin, après leur arrivée sur le sol de la péninsule hospitalière, dont la côte septentrionale devait être alors très peu peuplée, fut d’établir de grands couvens dont l’abbé exerçait sur les populations environnantes la cure pastorale. Un cercle sacré d’une ou deux lieues, qu’on appelait le minihi, entourait le monastère et jouissait des plus précieuses immunités.

Les monastères, en langue bretonne, s’appelaient pabu, du nom des moines (papœ). Le monastère de Tréguier s’appelait ainsi Pabu-Tual. Il fut le centre religieux de toute la partie de la péninsule qui s’avance vers le nord. Les monastères analogues de Saint-Paul de Léon, de Saint-Brieuc, de Saint-Malo, de Saint-Samson, près de Dol, jouaient sur toute la côte un rôle du même genre. Ils avaient, si on peut s’exprimer ainsi, leur diocèse ; on ignorait complètement dans ces contrées séparées du reste de la chrétienté le pouvoir de Rome et les institutions religieuses qui régnaient dans le monde latin, en particulier dans les villes gallo-romaines de Rennes et de Nantes, situées tout près de là.

Quand Noménoé, au ixe siècle, organisa pour la première fois