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du mari, est de 1634, deux ans après la Leçon d’anatomie; l’autre, celui de la femme, de 1643, douze mois après la Ronde de nuit. Neuf années les séparent, et cependant ils ont l’air d’avoir été conçus à la même heure, et si rien dans le premier ne rappelle la période timide, appliquée, mince et jaunâtre dont la Leçon d’anatomie demeure le spécimen le plus important ; rien, absolument rien dans le second ne porte la trace des tentatives audacieuses dans lesquelles Rembrandt venait d’entrer. Voici, très sommairement indiqué par des notes, quelle est la valeur originale de ces deux pages admirables.

Le mari est debout, de face, en pourpoint noir, culotte noire, avec chapeau de feutre noir, une collerette de guipures, manchettes de guipures, nœud de guipures aux jarretières, larges cocardes de guipures sur des souliers noirs. Il a le bras gauche plié et la main cachée sous un manteau noir, galonné de satin noir ; de la main droite écartée et jetée en avant, il tient un gant de daim. Le fond est noirâtre, le parquet gris. Belle tête douce et grave, un peu ronde, jolis yeux regardant bien; dessin charmant, grand, facile et familier, du plus parfait naturel. Peinture égale, ferme de bords, d’une consistance et d’une ampleur telles qu’elle pourrait être mince ou épaisse sans qu’on exigeât ni plus ni moins ; imaginez un Velasquez hollandais plus intime et plus recueilli. Quant au rang du personnage, la plus intime manière de le bien marquer : ce n’est pas un prince, à peine un grand seigneur; c’est un gentilhomme de bonne naissance, de belle éducation, d’élégantes habitudes. La race, l’âge, le tempérament, la vie en un mot dans ce qu’elle a de plus caractéristique, tout ce qui manquait à la Leçon d’anatomie, ce qui devait manquer plus tard à la Ronde de nuit vous le trouvez dans cette œuvre de pure bonne foi.

La femme est posée de même en pied, devant un fond noirâtre et sur un parquet gris, et pareillement toute habillée de noir, avec collier de perles, bracelets de perles, nœuds de dentelles d’argent à la ceinture, cocardes de dentelles d’argent fixées sur de fines mules de satin blanc. Elle est maigre, blanche et longue. Sa jolie tête un peu penchée vous regarde avec des yeux tranquilles, et son teint de couleur incertaine emprunte un éclat des plus vifs à l’ardeur de sa chevelure qui tourne au roux. Un léger grossissement de la taille, très décemment exprimé sous l’ampleur de la robe, lui donne un air de jeune matrone infiniment respectable. Sa main droite tient un éventail de plumes noires à chaînette d’or; l’autre pendante est toute pâle, fluette, allongée, de race exquise.

Du noir, du gris, du blanc : rien de plus, rien de moins, et la tonalité est sans pareille. Une atmosphère invisible, et cependant de l’air; un modelé court et cependant tout le relief possible ; une