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entre les deux natures. Chez Van-Eyck, il y a plus de charpente, de muscles et d’afflux sanguin; de là la frappante virilité de ses visages et le style de ses tableaux. En tout, c’est un portraitiste de la famille d’Holbein, précis, aigu, pénétrant jusqu’à la violence. Il voit plus juste et aussi plus gros et plus court. Les sensations qui lui viennent de l’aspect des choses sont plus robustes, celles qui lui viennent de leur teinture plus intenses. Sa palette a des plénitudes, une abondance et des rigueurs que celle de Memling n’a pas. Sa gamme est plus également forte et mieux tenue comme ensemble, composée de valeurs plus savantes. Ses blancs sont plus onctueux, sa pourpre plus riche, et le bleu indigo, le beau bleu d’ancien émail japonais qui lui est propre, plus nourri de principes colorans et de substance plus épaisse.

Il est plus fortement saisi par le luxe et le haut prix des objets rares qui fourmillaient dans les fastueuses habitudes de son temps. Jamais rajah indien ne mit plus d’or et de pierreries sur ses habits que Van-Eyck n’en mit dans ses tableaux. Quand un tableau de Van-Eyck est beau, et celui de Bruges en est le meilleur exemple, on dirait d’une bijouterie émaillée sur or, ou de ces étoffes aux couleurs variées dont la trame est d’or. L’or se sent partout, dessus et dessous. Lorsqu’il ne joue pas dans les surfaces, il apparaît sous le tissu. Il est le lien, la base, l’élément visible ou latent de cette peinture opulente entre toutes. Van-Eyck est aussi plus adroit parce que sa main de copiste obéit à des préférences marquées. Il est plus précis, plus affirmatif ; il imite excellemment. Lorsqu’il peint un tapis, il le tisse avec un choix de teintures meilleures. Quand il peint des marbres, il est plus près du poli des marbres, et lorsqu’il fait miroiter dans l’ombre de ses chapelles les lentilles opalines de ses vitraux, il arrive au parfait trompe-l’œil.

Chez Memling, même puissance de ton, même éclat, avec moins d’ardeur et de vérité vraie. Je n’oserais pas dire que, dans ce merveilleux triptyque de la Sainte Catherine, malgré l’extrême résonnance du coloris, sa gamme soit aussi soutenue que celle de son grand devancier. En revanche, il a déjà des passages, des demi-teintes vaporeuses et fondues que Van-Eyck n’avait pas connues. La figure du saint Jean, celle du Donateur indiquent dans la voie des sacrifices, dans les relations de la lumière principale avec les secondaires, et dans le rapport des choses avec le plan qu’elles occupent, un progrès sur le Saint Donatien et surtout un pas décisif sur le triptyque de Saint-Bavon. La couleur même des vêtemens, l’un grenat foncé, l’autre rouge un peu étouffé, révèle un art nouveau de composer le ton vu dans l’ombre et des combinaisons de palette déjà plus subtiles. Le travail de la main n’est pas