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ancêtres; c’est là seulement que l’on retrouve une conviction invincible chez les Japonais. A quelque classe de la société, à quelque secte qu’ils appartiennent, ils honorent leurs parens vivans et les vénèrent morts; c’est une idée enracinée chez eux que la dévotion à la mémoire des trépassés est la source de toutes les vertus et le signe de tous les actes d’obéissance que la loi réclame du citoyen. Le fils pieux sera un bon sujet, un ami loyal, et il ne lui manquera aucune des vertus domestiques. Jamais on n’entre dans une maison japonaise sans y trouver un petit autel où sont déposées des offrandes quotidiennes aux ancêtres, et c’est pour entretenir ces sacrifices que tout homme veut avoir une postérité, et qu’à l’imitation des Romains on adopte invariablement un enfant mâle, si la nature vous en a refusé. On confond dans une même adoration ses aïeux et les dieux lares, qui protègent chaque foyer, lesquels sont en même temps les patrons de la localité. Si l’on change de domicile, ce ne peut être que du consentement de ces dieux lares, et il faut s’empresser d’adopter ceux chez qui on va s’établir. Leurs noms sont écrits sur des bandes de papier déposées sur l’autel domestique. Il est d’un mauvais augure de les en voir tomber. Chaque soir, une veilleuse est allumée devant l’autel et aux jours de fête ou commémoratifs de la mort d’un proche, on offre des libations de sakki. Cette habitude touchante tient moins du sentiment religieux que du culte de la famille et a sa racine dans cette solidarité morale, qui ne s’arrête même pas devant la tombe. C’est encore une cérémonie de famille que l’on va accomplir au temple lorsque, sept jours après la naissance d’un enfant, on va lui donner un nom, lorsqu’à trois ans les filles prennent les cheveux longs, à sept ans la ceinture, et lorsqu’à treize ans il leur est permis pour la première fois de se laquer les dents, ou lorsque les garçons, arrivés à leur cinquième année, revêtent pour la première fois le hakama, large pantalon flottant porté par les samouraï.

En dehors de ces coutumes plus patriarcales que dévotes, les classes populaires se livrent à une foule innombrable de pratiques superstitieuses dont l’énumération fournirait un volume. Les femmes surtout croient à la prédiction de l’avenir et ne se font pas faute d’aller consulter des sorciers qui le découvrent, soit en comptant d’une façon particulière de petites tiges de bambou, soit en tirant au hasard d’une boîte une histoire toute prête qui est, bien entendu, celle de la curieuse, ou bien encore en répondant aux questions sous l’inspiration d’un esprit mystérieux, à la façon des médiums. On fait ainsi apparaître l’esprit d’un sage ou d’un saint légendaire. Il y a toute une science divinatoire qui consiste à connaître les jours fastes et néfastes pour telle ou telle entreprise, l’emplacement et l’orientation à donner à une maison, les prières à demander aux