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certainement hardie, d’autant plus hardie que Cavour engageait le ministère plus que le ministère lui-même ne voulait peut-être s’engager. Quelques-uns des membres du cabinet s’en plaignaient ; de son côté, d’Azeglio s’efforçait d’adoucir les conflits, d’expliquer les paroles de son impétueux collègue. Le coup n’était pas moins porté ; il avait retenti dans le parlement, dans le pays. Il faisait de Cavour le chef visible de l’opinion libérale, le représentant, non d’une politique nouvelle, mais d’une phase nouvelle plus active, plus décidée, de la politique piémontaise, et peu après l’évolution, le connubio s’accentuait encore plus. Le président de la chambre des députés, M. Pinelli, mourait subitement ; aussitôt le ministre des finances appuyait la candidature de Rattazzi à la présidence et la faisait réussir.

Le dernier mot de cette campagne si hardiment menée ne pouvait être évidemment que la suprématie de Cavour dans un temps plus ou moins prochain. Une crise ministérielle qui l’éloignait momentanément du pouvoir au mois de mai 1852, n’avait d’autre résultat que de mieux préparer le dénoûment inévitable. L’élection de Rattazzi à la présidence avait provoqué cette péripétie nouvelle. D’Azeglio trouvait que son terrible collègue, le « cher auteur du connubio, » comme il se plaisait à l’appeler, allait un peu vite, il se sentait peut-être un peu froissé et il redoutait aussi l’effet de ces mouvemens précipités sur l’opinion extérieure. Cavour ne voyait aucun inconvénient à laisser le pouvoir à d’Azeglio, à prendre une retraite momentanée où il gardait le prestige d’une autorité toujours grandissante, et il expliquait lui-même la crise en écrivant à un de ses amis, à Salvagnoli, de Florence : « Il était, à mon avis, non-seulement utile mais indispensable, de constituer fortement le parti libéral… D’Azeglio, après avoir été d’abord convaincu de cette nécessité, n’en a pas admis toutes les conséquences, et il a provoqué une crise qui devait conduire à ma retraite ou à son éloignement du pouvoir. La politique extérieure exigeait que je fusse le sacrifié. D’Azeglio, je crois, se serait retiré volontiers, je l’en ai dissuadé autant que j’ai pu ; il est resté et je suis sorti sans que nous ayons cessé d’être des amis privés et politiques. A son tour il devra se retirer et alors on pourra constituer un cabinet franchement libéral. En attendant je profite de ma liberté reconquise pour aller faire un voyage en Angleterre et en France… » Ce n’était, on le voit bien, qu’une trêve, et ce « voyage en Angleterre et en France n’était pas une simple excursion d’agrément. Cavour se proposait de voir les hommes d’état des deux pays, de dissiper les préventions dont le Piémont libéral pouvait être l’objet, de préparer les voies à ses propres combinaisons. En Angleterre il n’avait pas de peine à réussir. Lord Malmesbury, alors chef du foreign-office, lui