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faire ce qu’il doit qu’il ne fait. » La duchesse de La Trémoille avait donné une de ses filles à sa belle-mère, et la princesse prenait plaisir à élever cet enfant. Elle l’emmena à La Haye au commencement de 1606, où on lui donna un maître pour apprendre le flamand. « Croyez, écrit-elle, que je ne la gâte point, car je la fait bien fouetter quand elle le mérite. » La petite Charlotte ne prenait pas tout son temps : elle cherchait toujours une femme pour son fils ; elle avait pensé un moment à Mlle de Montmorency, qui avait épousé M. le Prince ; puis elle avait jeté les yeux sur Anne de Rohan, qui était du même âge que son fils Henri : « Il faut qu’ils se voient, car il n’y a point moyen de l’obliger… j’y apporterai tout ce que je pourrai, comme n’y ayant chose au monde que je désire tant ; car alors je serais contente de mourir. » (1er février 1609. La Haye). La Princesse éprouva un grand déplaisir quand le prince de Condé vint avec sa femme chercher un asile à Bruxelles. « L’éloignement de France de M. le Prince nous fâche fort ici et surtout le lieu où il est, où on tâchera, par toutes sortes d’artifices, de le détourner de son devoir ; mais je veux toujours espérer qu’il sera plus sage. » (14 janvier 1610.) « Pour moi, dit-elle encore, je crois que M. le Prince a perdu l’esprit… le cœur m’en crève d’en voir un qui porte le nom de Bourbon parmi ces gens-là. Je me trompe bien ou il sera bientôt las d’eux et eux de lui ; ils le déprisent déjà bien fort à ce que j’entends. J’ai pitié de le voir courir comme cela à sa ruine, et cette pauvre princesse renfermée à cette heure comme dans une prison. Elle eût été bien plus heureuse d’épouser un simple gentilhomme. » (25 février 1610.) La Princesse était restée une amie passionnée de Henri IV ; on ne trouve jamais dans sa correspondance un mot de reproche, de critique contre le roi. Hors de France, elle était devenue plus royaliste. Elle connaissait assurément quelque chose du grand dessein de Henri IV et du prince Maurice, mais elle ne touche jamais que pour ainsi dire en passant aux grandes affaires de Clèves, de Juliers. Elle affecte de n’être pas en état d’en juger ; elle a de grandes agitations d’esprit, mais ses principes droits et fermes ne la trompent guère ; elle tient pour le roi de France, pour ses parents de Nassau, les alliés du roi ; elle met sa foi dans la Providence.

La mort de Henri IV fut certainement un coup terrible pour Louise de Coligny. Elle se préparait au printemps de 1610 à se rendre à Paris, après les fêtes de Pâques ; on n’a aucune lettre d’elle depuis ce moment jusqu’au milieu du mois de juillet 1612. Tout était changé en France : tout ce qu’aimait la fille de Coligny semblait perdu, tout ce qu’elle méprisait ou détestait remplissait la vue de l’Europe. Cette alliance intime entre les Pays-Bas et la France, sur laquelle Henri IV avait bâti ses projets et qui doublait en quelque