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cessait de répéter : « Il n’est pas nécessaire de ruiner le fils pour venger la mort du père. C’est l’ouvrage du fils, qui seul a l’autorité légitime. »

Le traité de Loudun montra bien que les princes ne travaillaient que pour eux. La princesse d’Orange fait peu d’allusions dans ses lettres à ces tristes luttes ; le nom de Bouillon ne se retrouve plus sous sa plume, toute sa tendresse est pour les La Trémoille. La désillusion était venue avec la vieillesse ; les âmes trop éprouvées finissent par s’enfoncer dans une sorte de solitude. La princesse voyait la mort frapper autour d’elle ; en 1618, elle écrit à la duchesse de La Trémoille : « Il a plu à Dieu d’appeler à soi M. le prince d’Orange, votre frère. » Onze mois après, elle perd Éléonore de Bourbon-Condé, que ce prince avait épousée ; la même année Barneveld, qui avait été son fidèle ami, fut exécuté à La Haye sans qu’elle ait pu obtenir son pardon.

Elle s’enferme dans le silence, ose à peine faire allusion à la détention de Condé. « Beaucoup espèrent sa prompte liberté : j’en prie Dieu de tout mon cœur (avril 1619). » Elle ne voit presque plus son fils, elle sent le vide se faire autour d’elle. On est frappé de l’insignifiance de ses dernières lettres, soit que son âme fût déjà usée, soit qu’elle fermât volontairement les yeux sur des tableaux trop affligeans. La France, qu’elle avait connue si glorieuse, était devenue le jouet de l’Espagne ; la Hollande, dont elle avait voulu, comme Henri IV, faire le bras droit de la France, était désormais isolée, et l’œil profond de Maurice ne voyait plus que dans l’Angleterre une alliée fidèle contre l’Espagne. La fille de Coligny avait tout pardonné à son pays, et la mort de son père et la mort de son époux ; elle avait peut-être plus de peine à lui pardonner une sorte d’imbécillité qui l’aveuglait sur ses propres destinées. Elle n’avait pas la sombre passion du fanatique, et sans doute son patriotisme souffrait encore bien plus vivement que sa foi. On peut deviner les tristesses qui remplirent ses dernières années ; elle mourut au milieu du mois de novembre 1620, âgée seulement de soixante-cinq ans, quand elle se préparait à partir encore une fois pour la France. Anne de Rohan composa sur sa mort des « Regrets, » qu’elle envoya à la duchesse de la Trémoille et qui malheureusement n’ont pas été conservés. Cette mort fut à peine remarquée. La guerre de trente ans commençait : l’électeur palatin, le neveu de Maurice de Nassau, venait d’être nommé empereur d’Allemagne ; la guerre religieuse renaissait non-seulement en France, mais dans l’Europe entière. Louise de Coligny laissait tous les royaumes de la terre dans l’émoi et pouvait sans regret dire à Dieu en mourant ces mots, qui lui servaient de devise : ad regnym tuum veni,


Auguste Laugel.