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Il se tut, sa voix avait baissé peu à peu et s’arrêta un instant, haletante et comme brisée, sur les deux derniers vers ; puis il laissa retomber sa tête dans sa main. Quelques momens après, sans que j’aie pu trouver une parole à lui dire : — Allons, couchez-vous, mon enfant, me dit-il en m’indiquant le matelas où il venait de jeter une couverture ; il est tard, et vous devez être fatigué. — Il s’étendit lui-même sur le tapis et ne parla plus.

Le lendemain, nous étions debout comme le soleil se levait ; ses premiers rayons, glissant à travers les volets disjoints, pénétraient déjà tout roses et or jusqu’au milieu de notre chambre transformée par ce joyeux réveil. Nous sortîmes ensemble ; Demitri m’accompagna quelques pas sur mon chemin, et nous nous quittâmes. — Au revoir, dit-il en me serrant fortement la main, au revoir ; revenez quand vous voudrez, vous me ferez plaisir. — Puis, tout en marchant, il se retourna encore et ajouta d’une voix plus haute : — Allons, bonne chasse, et cette fois ne vous perdez pas !

Toute la poésie populaire est là, dans cette simple scène, sous le toit d’une cabane, dans la solitude de la montagne, en face d’un pauvre paysan. C’est là que sont nés tous ces beaux chants que nous admirons dans les recueils de MM. Fauriel, de Marcellus, Passow, E. Legrand. Des bergers, des palikares sont réunis, loin, très loin, de la ville, assis autour d’un grand feu ; las de la danse, ils aspirent à plein poumon l’air frais du soir et jouissent de leur repos. L’un d’eux chante, on l’écoute, et bientôt, si cette improvisation sait émouvoir, chacun l’apprend par cœur et la répète jusqu’à ce que, passant ainsi de l’un à l’autre, nous la retrouvions transcrite dans nos livres. Le spectacle d’une nature grandiose, joint aux souvenirs du passé, la brise de la mer, la clarté du ciel et la pureté des nuits, les murmures indistincts du vent soufflant comme une grande voix dans les montagnes, et le sentiment de ce bien si cher qui élève l’âme, l’indépendance, voilà quels sont les maîtres de ces robustes rhapsodes ; c’est sous de telles inspirations que peuvent naître les étranges poèmes qui nous étonnent tant parce que, dans nos villes, nous n’imaginons rien de semblable, et que les délicatesses de nos sociétés n’ont rien adouci de leurs brutales saveurs.

Comme il y a deux genres distincts de poésie, on trouve deux sortes de musique en Grèce. La première, imitée des mélodies italiennes et particulièrement de celles de Verdi, est seule en grande faveur à Athènes. La seconde, qu’on entend dans les villages perdus de la province, pourrait s’appeler la musique populaire. Le peuple seul en effet l’écoute et l’aime encore, et c’est pour lui l’accompagnement indispensable de la danse, la gaîté des noces, des festins et des promenades aux jours de fête. Le plus souvent ces