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Deux partis, quelquefois trois, sont en présence, représentés par les plus riches propriétaires du pays. Autour de chaque groupe se pressent d’abord tous les parens, ce qui forme déjà une petite foule, puis les amis des parens et enfin les intéressés, c’est-à-dire les gens auxquels on a promis une place en cas de réussite, et qui sont encore en plus grand nombre. Les deux camps bien formés, on commence la propagande ; les maisons des chefs de caste s’ouvrent pour faire des prosélytes et tiennent pendant quinze jours table dressée et abondamment servie. Tous ceux qui demandent à être convaincus, les fainéans, les vagabonds, les mendians, viennent s’y asseoir, et je n’ai pas besoin de dire qu’ils restent hésitans entre les deux tables jusqu’au jour du vote. Pendant ce temps, les plus chauds partisans de chaque camp parcourent les campagnes et cherchent dans les villages des alliés à leur cause, ou bien revoient tous les débiteurs du futur député et leur promettent d’abaisser pour eux le taux de l’intérêt s’ils votent ou font voter comme ils veulent. Ce sont les heures bénies de ces malheureux qui ont été forcés d’emprunter de petites sommes pour ensemencer leurs champs ou améliorer leurs vignes. Ils croient à un peu de clémence de la part de leurs créanciers et espèrent ainsi gagner du temps ; mais tous ont le même sort : le grand propriétaire prête au plus pauvre, qui lui engage sa terre en garantie ou qui la lui vend à réméré ; le jour de l’échéance arrive, le débiteur ne peut pas payer et doit abandonner au prêteur, toujours impitoyable, son droit de propriété. C’est le moyen regardé comme le plus simple et le moins coûteux d’agrandir son domaine. Les monastères, les pappas font aussi de la propagande par les mêmes moyens ; leur influence sur les paysans est très grande, et leur appui est pour cette raison très recherché des deux partis.

Ces préliminaires durent environ quinze jours et suffisent à mettre toute la province en révolution. On attache une grande importance au succès de celui qu’on porte à la députation , et personne ne s’en étonnera. Quand la nouvelle chambre sera reconstituée, si la majorité se trouve déplacée, ce qui arrive toujours, l’ordre des choses est complètement changé dans la nation. Une réforme radicale s’opère dans toutes les branches administratives, et dans ce bouleversement général tous les fonctionnaires sont remplacés, depuis le préfet jusqu’au gratte-papier, depuis le juge de paix jusqu’au géomètre de la ville.

Enfin le jour du vote arrive ; la veille et l’avant-veille, les rues de la ville sont pleines de monde, les hommes parlent vivement entre eux, et leur attitude belliqueuse intimide la gendarmerie elle-même. Chacun est aux aguets, en quête de nouvelles ; on épie les ennemis,